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Le blog de Bernard SARLANDIE

« Choc des savoirs » : une mobilisation qui s’ancre

27 Mai 2024, 18:49pm

Publié par Bernardoc

in Le Monde du 25 mai 2024 (extraits)

Dans la lettre qu’ils ont adressée à Gabriel Attal, les élèves et parents d’élèves du collège du Haut-Mesnil, à Montrouge (Hauts-de-Seine), affichent leur détermination. Depuis février, ils se mobilisent contre la baisse de leur dotation horaire globale – le nombre d’heures attribuées pour assurer les enseignements – et les réformes en cours. « Pour six élèves en moins sur près de quatre cents à la rentrée 2024, nous allons perdre quarante-deux heures de cours, alors que, dans le même temps, la mise en place de groupes de niveau en français et en mathématiques en 6e et en 5e nécessiterait dix-sept heures de dotation supplémentaires », assure Paul (le prénom a été changé), représentant des parents d’élèves et enseignant dans un autre établissement.

Après avoir demandé une audience au rectorat de Versailles, après avoir manifesté dans les rues de leur ville, après avoir sollicité les élus, après avoir occupé le collège pendant une soirée festive, et malgré un réexamen de leur dotation par le rectorat, les parents d’élèves de cet établissement ne désarment pas.

La mobilisation mouvante, protéiforme et difficilement mesurable s’ancre dans la durée, depuis l’annonce, le 5 décembre 2023, par Gabriel Attal, alors ministre de l’éducation nationale, d’une batterie de mesures baptisée « choc des savoirs », dont le but est d’« élever le niveau des élèves ». En font partie la labellisation des manuels à l’école primaire, une refonte des programmes scolaires, l’instauration de « groupes de niveau » en français et en mathématiques, ou encore la nécessité d’obtenir le brevet pour passer en 2de.

Ni le ministère de l’éducation nationale ni les syndicats ne donnent de chiffres précis sur l’ampleur du mouvement, tant il est dépendant de dynamiques locales. Dans l’entourage de la ministre de l’éducation, Nicole Belloubet, on juge ces protestations « sporadiques et localisées », même si l’on reconnaît qu’il y a encore des « incompréhensions à dissiper ». Les initiatives, quand elles ont lieu, se fédèrent à l’échelle d’un établissement, d’une ville et parfois d’un département. Les communautés éducatives sont particulièrement actives dans l’agglomération rouennaise, en Loire-Atlantique, dans le Rhône ou en Seine-Saint-Denis, où les personnels « en lutte » demandent, en outre, un plan d’urgence pour ce département qui cumule les difficultés.

Nicole Belloubet a beau marteler, elle aussi, qu’elle « refuse le tri social », elle a beau avoir œuvré pour remplacer dans les textes officiels le terme « groupe de niveau » par l’idée de « groupe de besoin », les banderoles « Non au tri social » ou « Nous ne trierons pas nos élèves » ont fleuri sur les grilles des collèges depuis janvier, de Montreuil (Seine-Saint-Denis) au Pays basque. Dans ces établissements, parents et enseignants protestent contre la mise en place de ces groupes. Cette mesure phare du plan de Gabriel Attal représente souvent pour ses opposants la goutte d’eau qui vient faire déborder un vase déjà bien plein, entre les dotations en baisse, justifiées par les académies par la diminution du nombre d’élèves pour des raisons démographiques, et la pénurie ­d’enseignants, qui obère le fonctionnement quotidien des établissements, notamment en matière de remplacement.

Trois journées de grève nationales organisées depuis janvier sur des motifs divers ont avant tout mobilisé les professeurs de collège, avec entre 35 % et 55 % de grévistes parmi ces personnels selon le SNES-FSU. Dans une dynamique inédite, les parents d’élèves ont aussi pris le relais. Les opérations « collège désert » ou « collège mort » se sont multipliées ces derniers mois. « Ce ne sont plus les enseignants qui font grève, mais les parents qui ne mettent pas leurs enfants à l’école », relate Patrice Furé, responsable de la FCPE des Hauts-de-Seine. Selon les remontées qu’il a collectées, près de la moitié des établissements de son département ont participé à ces opérations, le 30 avril et le 7 mai. « Dans certains collèges, les taux d’absence sont montés au-delà des 90 % », note ce parent investi, pour qui « ces actions participent d’un renouvellement des liens avec les enseignants ».

D’autres formes d’actions voient le jour également. En Eure-et-Loir, les parents ont choisi de mettre en place des journées « collèges en noir » où les élèves s’habillent en noir pour protester contre les réformes. « Cela permet de médiatiser notre opposition, mais sans perturber les enseignements. Dans les collèges ruraux, c’est plus fédérateur », assure Gaëlle Bouharati, responsable de la FCPE dans ce département.

Par endroits, le mouvement dépasse le cadre syndical traditionnel. Edith James, mère d’une élève de CM1 très engagée dans le milieu associatif nantais, a créé spontanément, mi-mars, un groupe WhatsApp pour fédérer les actions des différents établissements. Il est rapidement arrivé à la limite des deux mille membres, avec des sous-groupes par établissement ou thématiques. « On partage les initiatives, les documents, les tracts. Personne ne décide et tout le monde propose. Les idées font tache d’huile ».

Au-delà de la contestation du « choc des savoirs » pointe une revendication plus large autour de la défense de l’école publique, quarante ans après le retrait de la loi Savary, qui voulait mettre en place un grand service public unifié et laïque d’éducation nationale (SPULEN) pour rapprocher enseignements public et privé sous contrat. « Notre but n’est pas simplement de dénoncer, mais aussi de porter les valeurs de l’école publique et de l’égal accès de tous à l’éducation », souligne Elisabeth Allain-Moreno, du SE-UNSA.

« Tout cela va plus loin qu’une opposition aux réformes en cours. Nous sommes mobilisés pour mieux vivre ensemble, pour que nos enfants vivent ensemble. C’est ce projet de société que nous défendons », relate Emmanuel Veneau, représentant de la FCPE de la Loire-Atlantique, dont les enfants sont scolarisés en éducation prioritaire. Au collège du Haut-Mesnil de Montrouge aussi, l’inquiétude grandit : « Si l’école publique n’a plus les moyens de ses ambitions, la fuite vers le privé va se poursuivre », juge Paul, qui en fait le moteur de son engagement.

Et ce n'est pas fini...

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