In Libération du 21 juin 2024
La secrétaire générale de la CFDT appelle ses 630 000 adhérents à se mobiliser dans la campagne pour empêcher l’accession du Rassemblement national au pouvoir.
Près de 80 organisations du Pacte du pouvoir de vivre et de l’Alliance écologique et sociale ont lancé mercredi la Coalition 2024, qui «appelle à la mobilisation autour de seize mesures prioritaires à engager dès le 8 juillet». On trouve dans la liste des signataires Attac, la Fondation Abbé-Pierre, la Ligue des droits de l’homme ou encore Oxfam, mais aussi cinq syndicats réunis en intersyndicale : la CFDT, la CGT, l’Unsa, la FSU et Solidaires. Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, évoque les enjeux et les difficultés de cette campagne éclair pour empêcher l’accession de l’extrême droite au pouvoir.
Quel est l’objectif de cette coalition ?
C’est une centaine d’associations, d’ONG, de syndicats opposés à l’extrême droite et réunis autour de seize mesures qui permettent à tous de dire : «Ça oui, c’est important», et de se demander quelle formation politique les propose. Par exemple, revenir sur la réforme des retraites, donner accès au RSA dès 18 ans, garantir l’accès aux services publics sans condition de nationalité et partout sur le territoire… Et puis, ça implique la mobilisation de toutes les troupes des organisations qui font partie de cette coalition. Et ça fait du monde.
Comment décliner cela concrètement ?
Une des priorités de la CFDT depuis toujours, c’est de s’engager contre l’extrême droite, l’enjeu étant de se mettre en ordre de marche pour agir efficacement d’ici à 2027. Là, le soir de l’annonce de la dissolution, on se dit qu’on va devoir faire en trois semaines ce qu’on devait faire en trois ans ! Notre mot d’ordre, c’est «tous sur le pont». Pour convaincre de l’importance d’aller voter et de l’impasse qu’est l’extrême droite. Le tout, c’est de dépasser le cercle des responsables pour embarquer tout le monde. On a fait des tracts, des vidéos, des argumentaires, et on va sur deux terrains. D’abord la question des valeurs, c’est-à-dire que, dans notre conception de la société, l’émancipation, la solidarité, la démocratie sont incompatibles avec ce que porte le RN, qui défend des principes d’inégalité de droits entre individus, de discrimination, de préférence nationale. Ensuite, on a les exemples des pays européens qui ont vu l’extrême droite arriver au pouvoir. Systématiquement sont remises en question l’indépendance de la justice, la liberté de la presse, les libertés syndicales.
Comment ça se passe sur le terrain ?
L’idée qu’on défend, c’est qu’il faut débattre. Dans cette période, il n’y a rien de pire que le silence et l’évitement. Je préfère un débat musclé, où on va se confronter et argumenter de part et d’autre, au silence. Sur le terrain, on a des remontées diverses. Des militants pointent la difficulté d’aborder ces questions sur les lieux de travail, donc l’organisation doit être en renfort pour les aider, les accompagner. Les discussions peuvent aussi être âpres. On nous explique que ce n’est pas le rôle d’un syndicat de se positionner sur ces questions. Je ne vais pas jouer la langue de bois, on a des adhérents qui partent.
Pourquoi ?
Parce qu’on a pris position contre l’extrême droite. Mais un adhérent qui part fait toujours plus de bruit qu’un adhérent qui arrive. Et on en a aussi beaucoup qui arrivent.
Et du côté des employeurs ?
Certains disent qu’il ne faut pas distribuer de tracts. C’est la première fois que je vois ça. Ça se produit dans des très grosses boîtes où les syndicats ont accès aux messageries. Je leur réponds que c’est de la liberté d’expression syndicale, qu’on est pleinement dans notre rôle, fidèles à notre histoire. Et qu’on est dans un moment inédit pour tout le monde.
Que dites-vous aux salariés pour les convaincre que voter RN revient à voter contre leurs droits ?
Qu’il y a ce que le RN dit et il y a ce qu’il fait. Au Parlement européen comme en France, ils n’ont jamais pris position en faveur des droits des travailleurs. Les trois directives de progrès, même petites à l’échelle européenne, ils ont voté contre : celle sur les travailleurs des plateformes, celle sur le devoir de vigilance, celle sur la transparence sur l’égalité salariale entre femmes et hommes. En France, c’est le groupe qui compte le plus de députés ayant voté contre ou s’étant abstenu sur la constitutionnalisation de l’IVG. Et leur politique est un tout, basé sur la discrimination et la préférence nationale. Je trouve extrêmement éclairantes - et inquiétantes - les dernières déclarations de Jordan Bardella qui nous parle de Français d’origine étrangère. Il y aurait deux types de Français selon les origines ? Quand Laure Lavalette [députée RN du Var, ndlr] dépose un amendement expliquant que les travailleurs étrangers en situation régulière ne peuvent plus participer aux élections professionnelles, c’est bien qu’ils sont obnubilés par les étrangers et ne comprennent pas ce qu’est un collectif de travail.
Vous n’envisagez toujours pas d’aller au-delà d’un appel à voter contre le RN en soutenant explicitement le Nouveau Front populaire ? Vous disiez mardi à Albi qu’il fallait un «vote de progrès» …
J’ai dit ça parce que je ne veux pas désespérer tout le monde en expliquant qu’il faut voter contre. Je crois à l’intelligence de la liberté de réflexion et de choix. C’est aussi la démarche de la coalition dans laquelle la CFDT est investie. C’est en liberté que les travailleurs doivent pouvoir voter pour un choix de progrès, donc de formations politiques qui ont des choses à dire sur le travail et la solidarité. Mais moi, je ne vais pas leur dire de voter pour untel, sachant qu’il y a 577 élections. Notre position, c’est : pas de consigne de vote au premier tour, si ce n’est de faire barrage au RN. Et la CFDT sera très claire au deuxième tour sur un appel à voter pour tous les candidats qui seront face au RN.
Et ce n'est pas fini...