In L’Humanité du 20 août 2024, jour de la St Bernard
Dans les multiples images de ce moment historique, on ne voit pas son visage. Il est pourtant là, à bord de son char M8-H Scott dénommé Pantagruel. Claude Mademba Sy est le seul Noir de la 2e division blindée du général Leclerc à faire son entrée à Paris, ce 25 août 1944. Ils étaient pourtant nombreux, les tirailleurs que la France a enrôlés depuis ses colonies d’Afrique.
Ils constituaient, en 1941, l’essentiel des forces de la colonne Leclerc, devenue deux ans plus tard l’héroïque 2e DB. Née de la fusion de troupes d’Afrique et de l’unité Leclerc, elle était équipée en chars et matériels par les Américains. Si bien que ces derniers, ségrégationnistes, ont fait pression.
En prévision de la bataille de France, ils ne pouvaient supporter que l’on voie des soldats noirs entrer triomphalement dans Paris libéré. Ils avaient « blanchi » la 2e DB, comme l’explique l’historien Jean-François Muracciole, rapportant les propos du général Walter Bedell Smith, chef d’état-major d’Eisenhower : « Il est hautement désirable que la division soit composée de personnels blancs. »
En 1943, un an avant l’entrée sur Paris, les tirailleurs ont donc été soit démobilisés, soit intégrés à une division d’infanterie. Ils furent, pour la plupart d’entre eux, plus d’un millier, affectés dans la 1re division française libre du général de Lattre de Tassigny, qui débarqua en Provence.
Seul Claude Mademba Sy est resté. Sans doute, avance Christine Levisse-Touzé, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, parce qu’il était pupille de la nation, citoyen français, diplômé et issu d’une lignée de soldats ayant servi l’empire. Son grand-père fut officier « indigène » sous Joseph Gallieni, gouverneur général du Soudan français (devenu Afrique occidentale française). Son père, Abdel Kader, fut le premier Noir chef de bataillon de l’armée française. Trois de ses oncles furent tués pendant la Première Guerre mondiale.
Claude Mademba Sy est né le 11 décembre 1923 à Versailles, où son père effectuait un stage comme commandant d’infanterie. Le petit Claude n’a pas 8 ans et il est trimbalé, avec sa famille, successivement à Madagascar, au Mali et au Sénégal, au gré des affectations de son père. Celui-ci meurt d’une pneumonie en 1932, un an à peine après leur retour en France. Claude devient pupille de la nation
En 1943, il rejoint, à Tunis, où sa mère s’est installée, le régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad, qui intégrera la 2e DB. Sous-officier dans ce prestigieux régiment, il participe à la campagne de Normandie, à la libération de Paris et de Strasbourg, ainsi qu’à la prise du nid d’aigle de Hitler à Berchtesgaden, près de Munich. Autant de faits d’armes pour ce combattant des Forces française libres qui lui permettront d’acquérir une légitimité et de gravir les échelons dans une armée française victorieuse et non moins coloniale.
Après la Seconde Guerre mondiale, le jeune Claude intègre la promotion Victoire 1945 de l’école des officiers de Saint-Cyr Coëtquidan. Devenu lieutenant, il est affecté en Afrique-Occidentale française, en Indochine, où il est blessé, puis en Algérie. Capitaine, il rejoint le sinistre 6e régiment de parachutistes coloniaux (devenu le RPIMa).
C’est lui, à la tête de sa compagnie, qui traquera et fera exécuter, en 1959, le colonel Amirouche, l’un des chefs indépendantistes du Front de libération nationale. Claude Mademba Sy termine sa carrière en France au grade de commandant dans le 9e bataillon d’infanterie de marine (Bima). Il se mettra ensuite au service de son pays, le Sénégal, nouvellement indépendant, où il sera, sous la présidence de Senghor, formateur dans l’armée, puis ambassadeur dans plusieurs pays d’Europe et d’Afrique, ainsi qu’à l’ONU.
À la retraite, il revient en France, à Lagrave, dans le Tarn, près du siège du 8e régiment de parachutistes (RPIMA). Il y est décédé le 8 avril 2014, à l’âge de 90 ans. Il était la dernière grande figure des tirailleurs sénégalais dont l’histoire, à nos jours, demeure encore injustement méconnue. Depuis le 25 août 2020, une allée porte son nom dans le 14e arrondissement de Paris.
L’histoire retiendra son engagement sans relâche pour la défense des droits des tirailleurs. Une centaine d’entre eux, réclamant simplement leur dû, avaient été massacrés par l’armée coloniale le 1er décembre 1944 dans le camp de Thiaroye, près de Dakar. Claude Mademba Sy n’a cessé de dénoncer « l’indignité du traitement des combattants africains après la décolonisation ». Il s’est illustré dans la longue bataille menée pour que les combattants africains touchent les mêmes pensions que les soldats français.
Et ce n’est pas fini...