d’après La Croix du 21 novembre 2024
Ce jeudi 21 novembre marque le centenaire de la grève de 1924, lorsque 2 000 ouvrières des usines de sardines de Douarnenez avaient mis l’économie de la ville du Finistère à l’arrêt.
En 1924, Douarnenez s’impose comme la capitale de l’industrie de la conserve. D’avril à octobre, la sardine impose son tempo. La ville compte près de 5 000 marins-pêcheurs et 2 000 sardinières, réparties dans 21 usines.
Nettoyer, vider, faire frire, mettre en boîte ces petits poissons…Pour ces femmes de marins et mères de famille, surnommées les Penn Sardin (« tête de sardine ») en raison de leur coiffe blanche, cette scène se répète à la chaîne. Mobilisables à toute heure, en fonction du retour des bateaux, elles travaillent souvent plus de 18 heures d’affilée, pour seulement 80 centimes de l’heure. Un salaire de misère, alors que le kilo de beurre est à 15 francs, et celui de café à 17.
Pour survivre, certaines restent au travail à 80 ans, quand d’autres s’engagent à l’usine dès 10 ans. « À cet âge-là, on restait jusqu’à minuit, ou même 1 heure du matin», témoigne l’une d’entre elles. Les sardinières œuvrent dans l’urgence : les glacières et les chambres froides n’existent pas encore. Pour se donner du cœur à l’ouvrage, elles chantent.
Mais le 21 novembre 1924 sonne la révolte. Alors que le contremaître refuse de les rencontrer, les femmes de l’usine Carnot se mettent en grève et la colère se répand au son de L’Internationale. « Pemp real a vo » («Vingt-cinq sous nous aurons »). Le 21 novembre 1924 ces mots résonnent sur le pavé breton, scandés par les ouvrières des usines de sardines de Douarnenez qui réclament d’être payées 1,25 franc de l’heure. Avec ce slogan débutait la grève historique (46 jours) des Penn Sardin.Le 25 novembre, l’économie de Douarnenez est à l’arrêt.
Un comité de six femmes et neuf hommes est élu pour les représenter et deux réunions de conciliation avec le patronat sont organisées. À la première, les propriétaires d’usines déclarent « ne pas vouloir discuter avec les communistes ». La seconde n’aura pas lieu : les patrons sont partis à la chasse.
Un long blocage commence. Le préfet du Finistère, inquiet de l’intransigeance patronale, avertit le président du Conseil. La presse nationale, notamment L’Humanité, s’empare de cette grève historique. De nombreuses figures politiques et syndicales apportent leur soutien à « la cause ».
« Ces femmes n’avaient aucune chance de gagner. Mais avec l’aide de ces personnalités, elles se sont organisées en syndicats ». Parmi ces « étrangers venus leur tenir le coude » se trouvent Charles TILLOT, qui invente un système pour que les enfants des grévistes soient gardés, Lucie COLLIARD, militante communiste, et surtout Daniel Le Flanchec, un des premiers maires communistes de France.
« Avec cet ancien anarchiste à sa tête, la mairie de Douarnenez s’organise : les dons de pommes de terre sont entassés dans une pièce, la soupe populaire distribuée dans une autre… ».
Dans la rue, un cortège défile chaque matin. Mais à force de marcher, et avec le froid de cet hiver particulièrement rude, des femmes cassent leurs sabots de bois. « Qu’importe ! On leur en distribue d’autres gratuitement ».
Le 13 décembre marque une première victoire pour les grévistes : la propriétaire d’une friture accepte de négocier. Les ouvrières gagnent le droit d’être payées 1 franc de l’heure, avec une augmentation de 50 % au-dessus de 10 heures travaillées par jour, y compris après minuit. Tout renvoi pour faits de grève est exclu, et les syndicats reconnus.
Le reste du patronat résiste encore. Des grévistes embarquent alors pour 17 heures de voyage en train jusqu’à Paris à la rencontre du gouvernement du cartel des gauches. Face au refus de dialoguer des propriétaires d’usine, le ministre du travail Justin GODART s’exclame : « Vos patrons sont des brutes et des sauvages ! »
Le patronat décide alors d’engager des briseurs de grève. Le 1er janvier 1925, lors d’une fusillade dans un café, l’un d’eux tire et blesse à la gorge le maire Daniel Le Flanchec. Quand la nouvelle répand, c’est l’émeute. Des gendarmes à cheval et un grand meeting syndical ramènent finalement le calme.
Cette tentative d’assassinat discrédite les patrons. « Dès que le coup de feu est tiré, la grève est gagnée pour les femmes ». Le 3 janvier, les propriétaires d’usine se montrent prêts à discuter. Trois jours plus tard, tous acceptent de s’aligner sur les conditions accordées par le premier accord du 13 décembre.
Un cortège d’au moins 10 000 personnes chantant L’Internationale défile le lendemain dans les rues, mettant fin à 46 jours de grève. « Un esprit critique politique et communiste très fort s’est ensuite maintenu pendant longtemps à Douarnenez ».
Une des grévistes les plus engagées, Joséphine PENCALET, est élue au conseil municipal en 1925 alors même que les femmes n’ont pas encore en France le droit de vote. Elle siège quelques mois avant que le Conseil d’État n’invalide son élection. Le motif ? Elle est une femme et donc inéligible…
Et ce n’est pas fini...