Emmanuelle SOUFFI in Le JDD du 11 décembre 2022
De mémoire d’observateur, on n’avait pas constaté pareil front commun depuis très longtemps. Face au recul de l’âge de départ en retraite, CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, Solidaires et FSU ont de concert brandi, lundi dans un communiqué commun, la menace de grèves et manifestations en janvier, et ce dès la deuxième quinzaine, « si le gouvernement demeure arc-bouté sur son projet ». L’intersyndicale se réunira jeudi, jour de la présentation de la réforme des retraites par la Première ministre, Élisabeth Borne, pour organiser sa riposte.
Cet hiver, les numéros un des cinq centrales pourraient donc bien défiler côte à côte, l’exécutif n’entendant pas renoncer à la mère de toutes les réformes. « C’est un projet validé par les Français lors de la présidentielle et débattu durant la campagne, rappelle Marc Ferracci, député Renaissance. Un gouvernement se doit de tenir ses engagements. » Et une réforme des retraites qui n’engendre pas son lot de cortèges dans la rue n’en est pas une…
Comme en 2010, lors du passage de l’âge de départ de 60 à 62 ans, centrales réformistes et contestataires s’allient pour dénoncer un nouveau report, à 65 ans cette fois. « Il est très rare que les syndicats fassent tous le même constat et répètent que c’est inadmissible, tempête Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT. Ça devrait faire réfléchir le gouvernement. Mais non ! Emmanuel Macron n’a pas changé, il a une obsession dogmatique et veut prouver qu’il tient bon sur une réforme emblématique. »
Contrairement à l’époque de la réforme conduite par le gouvernement Fillon, le contexte interne aux centrales contribue à durcir leurs positions. Réélu en juin à la tête de la CFDT, Laurent Berger n’a pas de mandat pour accepter un énième allongement de la durée de vie active. Impossible donc pour Élisabeth Borne d’obtenir son soutien, contrairement à 2019, lors des débats sur la création d’un système universel. D’autant que, ayant prévenu qu’il quittera son poste avant son terme, le secrétaire général de la centrale réformiste n’a rien à perdre à se montrer ferme avec l’exécutif. Philippe Martinez, lui aussi, est sur le départ ; il passera le flambeau au printemps. Et après des mobilisations infructueuses sur le pouvoir d’achat, le cégétiste se verrait bien tirer sa révérence avec une fronde réussie sur les retraites.
Dans ces conditions, les choix du gouvernement alimentent la convergence des luttes. Pour amadouer la CFDT, l’exécutif a lancé en octobre un cycle de discussions qui s’est achevé vendredi sur un constat d’échec. « Vous avez déjà vu des concertations qui servent à quelque chose ? raille Philippe Martinez. C’est de la communication ! » Laurent Berger n’en pense pas moins, « agacé » d’avoir été convoqué jeudi à Matignon alors que les échanges au ministère du Travail n’étaient pas terminés. Tout comme son homologue de la CFE-CGC: « Il n’y a rien à négocier, comme d’habitude », tance François Hommeril.
Des mesures de compensation sont certes envisagées, comme la création d’un index senior, l’intégration du port de charges lourdes et des postures difficiles comme critères de pénibilité, ou la hausse du minimum contributif à 1 200 euros… Mais pas de quoi faire passer la pilule des 65 ans. « Techniquement, ça ne tient pas la route et, socialement, c’est injustifié », clame le leader de la CFECGC. Balayée également, l’option d’un passage à 64 ans envisagée par l’exécutif pour déminer les futurs blocages. « Que ce soit 65 ou 64 ans, c’est non, tranche Cyril Chabanier, président de la CFTC, qui propose une hausse des cotisations partagée entre employeurs et employés. On ne nie pas le déficit, mais il n’a pas à être comblé par les seuls salariés. » Le gouvernement n’envisageant pas le retrait de son projet, le conflit contre des syndicats unis devient une certitude. Ne lui reste plus qu’à parier sur son enlisement.
Et ce n'est pas fini...