Par Emmanuelle GODEAU, Damien LÉGER et Stanislas SPILKA (via The Conversation)
Dans l’opinion générale, enfance ou adolescence sont synonymes de bon sommeil, long, souvent décalé, récupérateur, accompagné de grasses matinées durant les week-ends et les vacances scolaires.
Généralement, la qualité du sommeil est en effet excellente chez les jeunes : sa durée est plus longue que chez l’adulte (10 à 12 heures chez les enfants et 8 à 10 heures chez les adolescents, contre 7 à 8 heures chez l’adulte). Surtout, leur sommeil est plus stable : leurs nuits sont moins entrecoupées d’éveils, et plus riches en sommeil profond, récupérateur.
Toutefois dans les faits, les choses diffèrent quelque peu. Aujourd’hui, la qualité du sommeil des enfants et adolescents ne va plus de soi, car de nombreuses activités et sollicitations viennent concurrencer et retarder sans cesse l’envie de dormir. L’utilisation de toujours plus d’écrans durant la soirée joue notamment un rôle prépondérant dans cette situation.
Pour savoir précisément où en sont les jeunes vis-à-vis du temps de sommeil, l’enquête EnCLASS a été menée en 2018 sur plus de 20 000 collégiens et lycéens de France métropolitaine.
Dormir est essentiel pour la santé physique et mentale. Durant le sommeil, de nombreux rythmes physiologiques sont modifiés, et plusieurs hormones contribuant à la réparation des tissus, aux défenses immunitaires, ou encore à l’équilibre métabolique du corps sont sécrétées de façon synchronisée : hormones de croissance, mélatonine, cortisol… Dormir est aussi essentiel pour la mémorisation (notamment via la phase de sommeil paradoxal), la réparation des effets du stress et de l’anxiété, ou encore la maturation du système nerveux chez l’enfant et l’adolescent.
La quantité de sommeil, tout comme sa qualité, sont essentielles pour la santé. Chez l’adulte, il est clairement démontré que dormir moins de 6 heures par 24 heures est associé à un risque accru de surpoids, d’obésité, de diabète de type 2, d’hypertension, de maladies cardiovasculaires, d’accidents, d’anxiété et de dépression. Chez l’enfant et l’adolescent, on parle de sommeil trop court en dessous de 7 heures par 24 heures. Les types de risque pour la santé physique et psychologique sont alors les mêmes que pour les adultes.
Certains troubles du sommeil peuvent également être associés à des problèmes de santé chroniques, respiratoires (asthme, allergie), digestifs, ou neurologiques (douleurs). C’est par exemple le cas de l’insomnie, qui peut être due à un environnement de sommeil difficile ou bruyant, ou être l’expression d’un mal-être psychologique.
L’usage d’écran avant l’endormissement est à ce titre problématique, pour plusieurs raisons. D’une part, la lumière bleue des écrans stimule l’horloge biologique et retarde la sécrétion de mélatonine, l’hormone du sommeil. D’autre part, l’interaction sociale tardive le soir, et parfois en pleine nuit, empêche la détente et le repos cognitif, indispensables au sommeil.
Or tablettes ou smartphones peuvent très facilement s’immiscer dans la vie des jeunes en dehors de tout contrôle parental, dans les chambres ou les lits, parfois jusqu’à une heure avancée de la nuit. Les périodes de confinement successives des derniers mois ont en outre très probablement ancré davantage encore ces habitudes chez certains élèves.
Les adolescents français ont été interrogés sur leur sommeil pour la première fois en 2010 et 2011, dans le cadre des enquêtes HBSC pour le collège, ESPAD pour le lycée. Ces dernières ont mis en évidence qu’une proportion croissante des collégiens avait un sommeil de trop courte durée pendant les périodes de classe et une dette de sommeil. Il y a huit ans déjà, l’utilisation des écrans dans la soirée avait été associée à un sommeil plus court ainsi qu’à des troubles d’endormissement. Présents chez les collégiens, ces troubles du sommeil augmentaient avec l’âge et se retrouvaient chez les lycéens. Huit ans plus tard, la situation ne s’est pas améliorée.
L’enquête EnCLASS menée en 2018 a révélé que les collégiens ont en effet perdu en moyenne 20 minutes de sommeil par nuit : en semaine, leur durée de sommeil est passée de 8 heures 37 en 2010 à 8 heures 16 en 2018. Les lycéens n’ont perdu pour leur part que 5 minutes sur la même période : ils dormaient en moyenne 7 heures 19 en 2018.
Entre la classe de 6e et celle de 3e, les élèves perdent un quart d’heure de sommeil par an, avec une durée moyenne qui passe de 8 heures 50 à 7 heures 45, ce qui représente plus d’une heure de sommeil en moins par nuit au décours du collège. Si le passage du collège au lycée entraîne une nouvelle perte de sommeil de 19 minutes en moyenne, cette durée n’évolue ensuite quasiment plus, diminuant seulement de 7 minutes entre la seconde et la terminale.
Soulignons que les garçons de terminale ont le temps de sommeil moyen les jours de classe le plus court : 7 heures 05. Cette durée est proche de la durée de sommeil des adultes les jours de travail en France, laquelle est de 6 heures 58 d’après les données du dernier Baromètre Santé.
En huit ans, le pourcentage de collégiens dormant moins de 7 heures par 24 heures les jours de classe, autrement dit le seuil sous lequel le risque de comorbidités est plus élevé, est passé de 7,8 % à 13 % et celui des lycéens de 25,1 % à 29 %.
Aujourd’hui, un collégien sur quatre (26,7 %) et quatre lycéens sur dix (43,7 %) peuvent être considérés comme étant en « dette de sommeil » (car dormant au moins 120 minutes de plus les matins sans classe en regard de ceux avec classe le lendemain). Au collège, cette dette est beaucoup plus préoccupante chez les filles que chez les garçons (31,4 % contre 22,2 %). Cette différence existe aussi au lycée, quoique dans une moindre proportion (46,5 % contre 40,8 %).
Une des premières conséquences du manque de sommeil est la fatigue, en particulier le matin. Globalement, la moitié des élèves du secondaire sont fatigués au lever au moins un jour par semaine. Plus encore, 3 collégiens sur 10 (30,6 %) et 4 lycéens sur 10 (41,4 %) se sentent fatigués presque tous les jours de classe en se levant le matin.
Bien évidemment, les élèves dormant moins de 7 heures par nuit et ceux en dette de sommeil sont plus fatigués que les autres.
On estime par ailleurs que, chez l’enfant et l’adolescent, s’endormir en plus de 30 minutes relève d’une insomnie. Or, d’après leurs déclarations, le tiers des élèves du secondaire environ sont concernés par une insomnie d’endormissement. Là encore, ces difficultés sont nettement plus fréquentes chez les élèves en dette de sommeil ou avec un sommeil trop court.
L’utilisation d’un écran au cours de la soirée est une activité partagée parmi une grande partie des élèves, quel que soit leur âge. Cette enquête révèle cependant que ces pratiques sont bien plus fréquentes parmi les adolescents dont la durée de sommeil et trop courte, et surtout parmi ceux en dette de sommeil.
Au collège déjà, environ 4 élèves sur 10 disent surfer sur internet, téléphoner ou regarder la télévision avant de dormir. La lecture en soirée n’est évoquée le soir que par un peu plus d’un tiers des collégiens, ceux qui sont en dette de sommeil étant aussi ceux qui sont les moins nombreux à lire le soir (16 %).
Au lycée, 6 adolescents sur 10 disent aller sur Internet le soir, ou écouter de la musique, voire faire les deux. Les deux tiers communiquent par téléphone, et près d’un sur deux regarde la télévision, une série ou un film. Retenons que parmi les lycéens en dette de sommeil, 72,9 % téléphonent et 72,2 % surfent sur Internet (alors qu’ils ne sont que 15,2 % à affirmer lire). Chez les courts dormeurs, les deux tiers ont également ces activités le soir.
Le sommeil les collégiens et lycéens français est donc grignoté année après année par leur mésusage des technologies mobiles numériques. On sait en effet que pour bien s’endormir, il faut ménager une période pour se préparer au sommeil. Il s’agit d’arrêter toute activité trop stimulante, et en particulier les usages numériques.
Un équilibre doit donc être trouvé entre le rôle social et pédagogique de l’accès des jeunes aux nouvelles technologiques et la conscience de leur risque délétère sur la santé. Il s’agit d’en promouvoir un usage raisonné, sans les diaboliser, mais sans minimiser les risques de leurs abus.
On constate que dormir semble de plus en plus difficile pour les adolescents. Cette situation peut faire redouter des conséquences en termes d’attention, d’apprentissage, de risques de comorbidité et de risques accidentels. Il nous semble important d’en informer enfants et parents, en soulignant l’importance pour la santé et le bien-être d’un sommeil de durée et de qualité suffisante, en particulier chez les jeunes.
Et ce n'est pas fini...