in Mediapart du 13/4/23 (extraits)
Difficile Difficile de penser que le symbole avait été prémédité. Mais il ne peut pas avoir échappé aux personnes rassemblées ce 13 avril pour la douzième journée nationale de mobilisation contre la réforme des retraites, tant il est puissant. Dans la capitale, le défilé organisé par les huit syndicats de salarié·es est passé à cinquante mètres à peine du siège du Conseil constitutionnel, rue de Montpensier, dans le I arrondissement de Paris.
S'ils tiennent à entretenir le suspense, les dirigeants syndicaux ne croient pas vraiment que le texte pourrait être entièrement barré par le Conseil constitutionnel. Et bien que des rassemblements seront organisés vendredi un peu partout en France, dont Paris, leurs regards se tournent désormais surtout vers le 1 Mai, la journée internationale des travailleurs, qui pourrait leur permettre d'organiser une nouvelle démonstration de force contre la réforme. Même si elle a été validée et promulguée entre-temps.
« L'intersyndicale est un bien précieux. On a tous à faire un pas de côté sur ce qui peut nous diviser pour, après trois mois de mobilisations, faire en sorte que le 1 Mai soit une grande fête populaire contre la réforme des retraites, pour la dignité du monde du travail » , a indiqué Laurent Berger, lui qui n'a jamais défilé à cette date depuis qu'il a pris la tête de la CFDT fin 2012, et qu'aucune manifestation unitaire n'a été organisée à cette occasion depuis 2010 et, déjà, une mobilisation contre une réforme des retraites.
Pour autant, l'intersyndicale ne rend pas les armes. L'annonce qu'Emmanuel Macron se proposait de rencontrer ses membres une fois connue la décision du Conseil constitutionnel est reçue avec circonspection, ou hostilité. Interrogée sur cette invitation, la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet a répondu dans un bref rire, ponctué d'un « lol »
« C'est bien qu'il ait tout à coup envie de rencontrer les syndicats, vu que ça fait un mois qu'on lui a demandé un rendez-vous et qu'il l'a refusé , a-t-elle commenté . Le problème, c'est l'ordre du jour. Pour nous, l'ordre du jour de ce rendez-vous avec Emmanuel Macron, c'est le retrait de cette réforme des retraites. Là, il nous propose un hors-sujet. »
Un dirigeant de Sud, Simon Duteil, refait le film : « On nous disait d'abord qu'il n'y aurait pas d'intersyndicale, puis que la mobilisation serait faible, puis que tout finirait avec les débats à l'Assemblée, et maintenant que le mouvement va finir avec le Conseil constitutionnel. Non, on ne va pas tourner la page. L'énergie, on l'a, les formes de mobilisation, il faudra les inventer. »
Une attitude que partageaient la plupart des manifestant·es dans les rues de Paris. Beaucoup n'en étaient pas à leur première manifestation, loin de là, et sont souvent des militants syndicaux aguerris. Leur discours est dur, y compris à la CFDT.
« D'habitude, je ne défile pas le 1 Mai, mais cette fois, je viendrai , confie ainsi Alix, qui travaille dans le tourisme. Dans nos rangs, on commence à en avoir marre de ce gouvernement. Même des gens qui ne bougent jamais, qui ne se sentent pas concernés par les réformes, ils sont touchés aujourd'hui, et en colère. »
Les mots des militants de base sont les mêmes que ceux des dirigeants syndicaux. Et comme chez ces derniers, l'inquiétude est palpable face à la manière dont l'extrême droite pourrait profiter de l'inflexibilité du pouvoir. « Le gouvernement, il va peut-être tourner la page dans sa tête. Mais pas nous , clame Alix . Ils sont en train de pourrir tout le système, et on le sait, les gens vont se venger dans les urnes. Et tout le monde sait ce qui va se passer. On va se retrouver dans la merde. »
« Emmanuel Macron risque de mettre le RN au pouvoir, il contribue à le dédiaboliser. Il a franchi une barrière qu'il n'aurait pas dû passer, et ça, on n'oubliera pas. Et on ne s'arrêtera pas » , renchérissent trois syndiquées Solidaires, à l'autre bout du spectre syndical.
« Il y a un vrai ras-le-bol, cette réforme ne passe toujours pas , confirme Pascaline Kerhoas secrétaire générale adjointe Force ouvrière au ministère de l'économie. Au ministère, la moyenne d'âge est assez élevée, et beaucoup d'agents vont être directement concernés : ils avaient tout calculé, et ils vont devoir travailler plus longtemps, c'est très dur pour eux. »
Plus tôt dans la journée, quelques actions symboliques avaient eu lieu à Paris. « On ne va pas vous lâcher, on va être le chewing-gum sous votre godasse, on va être votre pire cauchemar ! » , a promis au gouvernement la CGT des cheminots, selon Le Parisien
Après une assemblée générale à la gare de Lyon dans la matinée, quatre cents grévistes sont allés brièvement envahir le siège de LVMH à Paris, près des Champs-Élysées. « Vous cherchez de l'argent pour financer les retraites, prenez-le dans les poches des milliardaires, à commencer par Bernard Arnault ! » , a exhorté Fabien Villedieu, de Sud Rail.
Un peu partout autour de Paris, des rassemblements ont aussi été organisés en soutien aux éboueurs, qui ont repris la grève reconductible et ont même rallié à la lutte la moitié leurs collègues des arrondissements parisiens où les éboueurs relèvent du secteur privé.
La CGT promet de « transformer les rues en décharge publique jusqu'au retrait de la réforme » . À Aubervilliers, en marge du blocage du site de collecte des déchets, des interpellations ont eu lieu. Dans un communiqué, la CGT locale exige « la libération immédiate » des sept interpellé·es, « dont au moins quatre militants syndicaux »
« La jeunesse qui manifeste n'écoute pas les syndicats, car ce n'est pas vraiment la question du monde du travail qui la mobilise , explique Anaïs, étudiante en école d'ingénieur en région parisienne, accompagnée de Manon et Nicolas, venus de l'École normale supérieure de Paris-Saclay. Des jeunes qui ne se sentaient pas vraiment concernées par la question des retraites sont entrés dans le mouvement depuis l'utilisation du 49-3 le 16 mars, qui a beaucoup choqué. Aujourd'hui, ils manifestent avant tout contre ce qu'ils voient comme une crise démocratique. »
Ces trois habitué·es des manifs n'entendent pas non plus lâcher de sitôt : « La jeunesse a un rôle super important à jouer dans le maintien du mouvement, dans le soutien aux travailleurs qui font d'énormes sacrifices. Et nous pouvons apporter une radicalité qui est absente ailleurs. C'est important de montrer qu'on ne va pas retourner tranquillement à notre vie classique. Il faut prendre la place, et la tenir. »
Et ce n'est pas fini...