Jean-Emmanuel RAY in Les Echos du 6 décembre 2022
Intéressant article qui fait bien le tour de la question. Pour nous, à la CGT qui demandons les 32 heures, l'exemple espagnol (ministre du travail communiste) devrait nous convenir.
Ardente obligation d'une transition énergétique rapide, chauffage de vastes bureaux presque vides, souhait de collaborateurs - pas tous en télétravail - d'un meilleur équilibre vie privée-vie professionnelle, la « semaine de quatre jours » est très officiellement expérimentée en Grande-Bretagne, en Espagne (4 × 8 heures), au Portugal (4 × 9) et en Belgique (4 × 9 h 30). Elle recueille nombre de satisfecit : marges de manoeuvre et donc réduction d'un absentéisme croissant, puissant moyen d'attractivité et, surtout, de fidélisation des salariés. Mais elle constitue aussi un véritable défi organisationnel pour les entreprises, en particulier pour les PME et dans les secteurs travaillant nécessairement du lundi au samedi. De quoi s'agit-il exactement ?
Avec ou sans réduction de la durée du travail antérieure ? Dans la plupart des cas, il ne s'agit pas de réduction du temps de travail, mais d'une nouvelle répartition. Avec une concentration des tâches, certes propice à une meilleure organisation des réunions et à moins de présentéisme contemplatif postprandial, mais aussi à des déjeuners de dix minutes devant son ordinateur et à la raréfaction des pauses pourtant nécessaires à la vie d'une collectivité de travail, où se règle en trois minutes ce qui aurait nécessité vingt-trois courriels.
Avec, ou sans réduction de la rémunération ? Au-delà de la protection sociale ou de la retraite, cette question est déterminante, surtout en nos temps d'inflation. Mais la semaine de quatre jours peut aussi constituer une alternative à une forte augmentation des salaires côté entreprise avec la possibilité de rétablir un minimum d'équité entre les populations télétravaillant depuis deux ans et celles devant toujours venir sur place.
Semaine de quatre jours… de travail ou de bureau ? C'est la nouveauté de fin 2022 : certaines sociétés y voient l'occasion de fermer le vendredi des immeubles désertés, avec de substantielles économies de chauffage avec ce week-end de trois jours. Mais les prestataires ne devront pas être oubliés : les salariés devant alors télétravailler de chez eux réclameront une indemnisation adéquate.
Du côté du droit, un accord de branche ou d'entreprise peut permettre ce passage ; côté employeur tenu à une obligation de sécurité, ces horaires quotidiens à rallonge peuvent devenir problématiques : il faut donc suivre de près le taux d'accidents de travail et l'évolution des risques psychosociaux.
Pour les cadres en forfait jours, il est possible de prévoir, avec leur accord, 175 jours annuels au lieu de 218, avec abattement salarial proportionnel.
Mais les encadrants pourront-ils vraiment rester trois jours sans consulter leurs mails professionnels ? Sans parler de leur doute à l'égard de leurs troupes restées au travail quand eux sont en journée « off ».
En cas de nécessaire continuité du lundi au samedi (par exemple, dans les grands magasins), il faut prévoir des équipes distinctes avec des binômes polyvalents, ou des salariés d'astreinte pour parer à d'éventuels problèmes, ce qui se révèle compliqué sur le plan de l'organisation.
Les entreprises signeront donc un accord expérimental à durée déterminée d'un an. Sans ignorer l'effet cliquet prévisible s'agissant des (meilleurs) salariés habitués à ce nouveau rythme, et qui ne souhaiteront pas revenir à l'ancien.
Au-delà des vertigineux problèmes de financement qui nous attendent, cette nouvelle « semaine des quatre jeudis » au bilan énergétique à préciser, s'additionnant parfois à un ou deux jours de télétravail, est-elle raisonnable en termes de vie collective, et pour chaque équipe de travail ?
Et ce n'est pas fini...