In Mediapart du 26 septembre 2023
Trois organisations syndicales de cheminots – CGT cheminots, Solidaires Sud Rail et CFDT-FGTE cheminots – appellent mardi 26 septembre à un mouvement de grève contre le « démantèlement de Fret SNCF » , selon un communiqué commun . Ce mouvement de grève entend dénoncer le « sabotage social » à l'œuvre dans le fret ferroviaire français, imposé par la Commission européenne et repris par le gouvernement français. Un plan qui semble bel et bien signer le début de la fin pour le fret ferroviaire dans l'Hexagone.
Fret SNCF, une filiale de la SNCF partie intégrante du pole fret et logistique ferroviaire du groupe, Rail Logistics, est sous le coup d'une enquête de la Commission européenne ouverte en janvier dernier et portant sur le soutien financier apporté par l'État français. L'enquête vise la période 2007-2019. La Commission européenne s'intéresse en particulier à l'annulation de 5,3 milliards de dette du groupe.
En réponse à l'ouverture de cette enquête, le gouvernement français a proposé un « scénario de discontinuité » : d'ici à la fin de l'année, il entend faire disparaître définitivement l'existence et le nom de la filiale de transport de marchandises du groupe public. Deux nouvelles sociétés de droit privé seront créées, l'une pour assurer le transport, l'autre la maintenance des équipements, et reprendront les salarié·es de la filiale.
Mais cinq cents personnes n'ont aucune affectation.
Outre ces craintes sur l'emploi, le plan imaginé va aussi peser sur l'avenir de cette nouvelle filiale. Il est prévu que la nouvelle société abandonne d'ici la fin de l'année une partie des trafics dédiés, les trains les plus rentables car affrétés par un seul client, à ses concurrents, avec interdiction de s'y représenter pendant dix ans. Cela représente 20 % de son chiffre d'affaires et 30 % de son activité. Fret SNCF devra aussi revendre la plateforme logistique de Saint-Priest (Rhône), près de Lyon, et une partie de son matériel roulant.
Fret SNCF est ainsi priée de renoncer aux transports d'ArcelorMittal, le plus gros client de fret ferroviaire en France, comme à la liaison Perpignan-Rungis, relancée début mai, pour laquelle des associations s'étaient mobilisées afin d'assurer le transport des primeurs par train. L'opérateur ferroviaire, selon les plans du gouvernement, va être également obligé de renoncer à toutes les dessertes internationales. Un choix qui semble indiquer que le gouvernement accepte par avance que l'opérateur historique n'ait plus le droit d'exercer des transferts internationaux sur le territoire français.
Pourtant, tout le monde s'accorde sur le constat : dans la lutte pour la réduction des émissions de CO², le transport est un secteur-clé. À lui seul, il contribue à plus de 30 % des émissions, un niveau qui n'a pas baissé en France depuis 1983. Le développement du transport ferroviaire est considéré comme un des vecteurs de choix dans cette lutte.
Mais, à l'inverse des autres pays, la France a délibérément délaissé ce mode de transport, favorisant outrageusement la route. Pourquoi détruire l'opérateur historique au lieu de le soutenir, quand son développement est présenté comme un des axes majeurs de la transition écologique ? La question vaut autant pour le gouvernement que pour les autorités européennes.
Lors de la réforme de la SNCF de 2018, menée par Élisabeth BORNE, alors ministre des transports, des assurances multiples avaient été données sur le fait que cette transformation ne poserait aucun problème, que tout avait été négocié avec la Commission européenne. Comment se fait-il que, moins de cinq ans après, la Commission remette en cause le plan du gouvernement ?
À la SNCF, certains cheminots soupçonnent le gouvernement de duplicité. Pour eux, l'enquête de la direction européenne est cousue de fil blanc. Elle s'inscrit dans le vaste plan de restructuration de la SNCF engagé en 2018, le gouvernement et la direction du groupe ferroviaire ayant dès ce moment accepté de faire une croix sur le fret ferroviaire. Ce que l'un et l'autre nient.
Casser Fret SNCF pour laisser la place au privé ne résoudra pas les problèmes structurels du fret ferroviaire en France. La destruction et l'abandon de nombreuses lignes depuis plus de vingt ans (15 000 kilomètres de voies ont disparu depuis 2005), la dégradation continuelle du réseau, qui oblige parfois les trains à rouler à 30 km/h, le manque de sillons, le coût prohibitif des péages restent des constantes qui empêchent le développement du transport ferroviaire des marchandises face à la concurrence de la route.
Mais la réalité résiste à la théorie : l'ouverture à la concurrence est un échec. Le fret ferroviaire parvient au mieux à réaliser un cinquième des transports de marchandises, et souvent il baisse face à la concurrence de la route et de l'avion, qui bénéficient de subventions exorbitantes mais jamais prises en compte dans les enquêtes européennes.
En 2021, la direction des infrastructures a réalisé, sous l'égide du ministère de la transition écologique, alors dirigé par Élisabeth BORNE, un rapport sur le fret ferroviaire en France, qui dresse un panorama accablant de l'ouverture à la concurrence engagée à partie de 2006. Celle-ci, écrit le rapport, « s'est traduite par une déstabilisation de l'opérateur historique Fret SNCF, assortie de comportements non coopératifs des acteurs » . Il souligne la responsabilité de l'Europe dans ce dossier, dont la vision est « essentiellement liée à des considérations concurrentielles et manque d'une stratégie cohérente du développement du ferroviaire »
Dans leur communiqué commun, les syndicats rappellent qu' « une commission d'enquête parlementaire est actuellement en place sur la libéralisation du fret ferroviaire » . Ses travaux ont démarré le 12 septembre, ses conclusions attendues d'ici quelques semaines. « Rien n'est joué » , écrivent les syndicats.
Et ce n'est pas fini...