On continue au Congo.
Debout
Et passe
comme on meurt comme on danse
sans aveu
la lame emporte un peu de la mer
vainement
j’ai l’âge des fossiles
mon mal ne guérira personne
une nuit annule les cœurs
que j’ai portés avec ivresse
qui parle encore
comme les lucioles
de la mort ancienne
comme ils vécurent
comme ils s’aimèrent
l’herbe croissait
personne ne s’en doutait
la forêt m’a revêtu de nuit
sans la lumière
de ce qui fait famille
de ce qui fait lien
de ce qui fait chair contre cœur tendre
de ce qui tue l’amour
l’ami trahira
et tout deux en mourront
sans aveu
deux braises sur mon cœur
oh donnez-moi vos yeux
pour mon cœur arable
donnez-moi vos yeux
pour mon sommeil
des enfants font les fous
je retourne aux trous de ma mémoire
je retrouve mon enfance nue
pardonnez-moi mon enfance
l’herbe croissait
j’ai dit à l’herbe
je suis fragile comme la rosée
et l’herbe est morte
sur les braises de mon cœur
vous le voyez j’ai la vie qui tue
malheureusement l’herbe croissait
on a continué
à me huer moi et mes oiseaux
j’avais les lignes de la main
bien saillantes bien saillantes
et sans aveu
mieux que le crabe de terre
j’ai vécu l’humus
de terre cuite
de braises mortes
sans me soucier du sens des vents
l’herbe inclinait le vol des corbeaux
c’était la savane
le soleil buvait l’eau des mares
et je souffrais de timidité
j’ai voulu mourir pour celle qui m’a juré
amour
mes deux mains sont depuis les deux plateaux
d’une balance où peser mon ombre et la sienne
ne les prenez pas entre vos mains
nos ombres sont lourdes
j’ai la vie qui tue
n’approchez pas
le chien a pris des cornes et une fronde
Goliath petit Goliath
le passant cherche son fémur
dans la tendresse de son aimée
le fémur lui rit au nez
une jeune fille hume l’air parfumé au rhum
un tango argentin dans le soir
lui plie la chair aux commissures
elle tend ses bras l’enchantement tombe
elle s’effondre
la pluie tombe lentement à pas de mouche
sur son corps
jeune fille
j’ai la lèpre qui te guérira de tes cauchemars ne ris pas
je meurs à chaque chant d’amour
si je meurs souviens-toi du brasier
elle m’a ri au nez
son rire m’a blessé
j’ai bu la mort par la racine
et j’ai rendu mon cerveau
la racine bue fut un breuvage lucide
c’est de cette façon que j’ai découvert
le sang des courtisanes dans mes mains
mère comme ils vécurent
comme ils s’aimèrent
que chuchote-t-elle la lune
au passant éconduit
j’ai donc eu mon mauvais sang
par désœuvrement
je n’aime personne
mon père
mon pays
pas même annie
personne je veux vivre
une cartomancienne m’a dit
tu es perdu
tu n’es pas si
tu es trop sale
pour être nègre échantillon
blue jazz
tu ne prends pas tes boyaux
pour une peau de tam-tam
et ta tête n’est pas de la bonne ébonite
mimée
quelle agonie
Tchicaya U'Tamsi
Et ce n'est pas fini...