Le travail au noir, un fléau à plus de 10 milliards d'euros
In Le Figaro du 17 janvier 2024
Travaux réglés en argent liquide à des artisans, femme de ménage payée de la main à la main, autoentrepreneur « oubliant » de déclarer une partie de son chiffre d'affaires, salariés non déclarés sur des chantiers ou dans des restaurants…Le travail au noir ampute les finances publiques de cotisations sociales, prive les intéressés de droits au chômage ou à la retraite, et sape les fondements même du modèle social.
Les sommes en jeu sont considérables même si, par nature, le travail au noir est difficile à chiffrer. Alors que les contrôles aléatoires de l'Urssaf ont repris après deux ans d'interruption durant le Covid, le manque à gagner pour les finances publiques est estimé à plus de 10 milliards d'euros en 2022, selon l'observatoire du travail dissimulé présenté mardi matin par le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFIPS). Autant de cotisations qui ne viendront pas financer les retraites, les soins de santé, le chômage, etc. « Le travail dissimulé représente 6,4 à 8 milliards d'euros de manque à gagner stricto sensu, et entre 8 et 10,1 milliards si l'on tient compte aussi les retraites complémentaires », explique Dominique LIBAULT, président du HCFIPS et ancien directeur de la Sécurité sociale...
« Et encore, ces chiffres sont obtenus sur la base de contrôles des entreprises connues, ils ne tiennent pas compte par exemple de l'économie souterraine liée au trafic de drogue », souligne Dominique LIBAULT. Ces chiffres ne montrent pas d'évolutions majeures, et « la stabilité des résultats dans le temps accrédite la fiabilité des estimations », poursuit-il.
En termes géographiques, l'Île-de-France et le Sud (l'ancienne région Languedoc-Roussillon, Paca, la Corse) affichent des taux de fraude significativement plus élevés que la moyenne nationale. Les taux de travail dissimulé les plus élevés sont constatés dans les secteurs de la construction et de l'hôtellerie-restauration. « Plus de 50 % des redressements sont réalisés dans le secteur du BTP », observe Emmanuel DELLACHERIE, directeur adjoint à l'Acoss (la caisse nationale des Urssaf), incitant « les donneurs d'ordre privés ou publics à la plus grande vigilance dans le choix de leurs prestataires pour qu'ils soient à jour de leurs obligations vis-à-vis de l'Urssaf ». Le secteur du commerce se situe dans la moyenne, ceux de l'industrie et des autres services sont plus faibles. Une première évaluation sur le secteur agricole montre des abus relativement importants, avec un taux de fraude estimé à 345,7 millions d'euros des cotisations et contributions et 200 millions sur le contrôle comptable d'assiette.
Mais ce sont les microentrepreneurs intervenants sur des plateformes collaboratives qui se révèlent les champions toutes catégories de la fraude. Leur taux de cotisations éludées s'élève à 42 % (soit 174 millions d'euros), ce chiffre atteignant 62 % pour les VTC et 70 % pour les plateformes de livraisons, selon l'observatoire du HCFIPS. « Les montants sont moindres que dans des entreprises classiques, mais au regard de ces taux élevés, cela finit par faire des sommes significatives. Le phénomène de sous-déclaration absolument massif est problématique », pointe Dominique LIBAULT. Pour enrayer ce phénomène, le HCFIPS a recommandé de passer par un « précompte », obligeant les plateformes à déclarer les chiffres d'affaires réalisés par leur intermédiaire et précompter les cotisations sociales. Une recommandation entendue par l'exécutif, et qui sera rendue obligatoire en 2027. En attendant, l'Urssaf va produire une nouvelle vague d'évaluation en 2024, pour suivre l'évolution de la sous-déclaration des microentrepreneurs, et mieux prendre en compte l'activité dissimulée partielle, liée par exemple à la minoration d'heures.
Et ce n'est pas fini...