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Le blog de Bernard SARLANDIE

Rebelles en quête de politique.

18 Octobre 2019, 11:52am

Publié par Bernardoc

Tribune publiée hier sur Libération.

Les rebelles sont entrés dans les villes et ont prévu d’y rester pour longtemps. Mais si leur défense de l’urgence climatique est largement approuvée et soutenue par la population, leurs revendications restent encore nimbées d’un flou un peu artistique. Une partie de ce flou est apparemment dissipée par le recours à une appellation choc : «désobéissance civile». Or la majorité des actions qui sont menées sous cette étiquette n’en relèvent pas. Ce qui caractérise la désobéissance civile, c’est le refus délibéré et exprimé publiquement de remplir une obligation légale jugée indigne ou injuste, afin d’encourir une sanction qui fera rejaillir l’opprobre sur les autorités qui l’ont prise. Si ce n’est de la désobéissance, alors qu’est-ce que c’est ? De l’action directe non violente qui vise, de façon futée, théâtrale et ludique, à démasquer l’emprise des banques et des multinationales sur la décision politique ou l’inaction des gouvernements en matière de climat. Leur but est de causer un trouble à l’ordre public (intrusion dans des banques, blocages d’espaces publics, die-in, happenings de rue, etc.) ou de perturber la bonne marche des institutions (interdire l’accès aux bureaux de multinationales ou se faire arrêter en masse pour congestionner le système judiciaire) afin de dénoncer les agissements répréhensibles des puissants. Si ces actions illégales ne sont pas de la désobéissance civile, c’est parce qu’on ne peut enfreindre des lois qui n’existent pas pour marquer son désaccord ; et parce qu’un principe essentiel de la désobéissance civile n’y est pas respecté : l’absence de l’anonymat.

Alors pourquoi le succès que rencontre ces jours-ci l’usage du terme «désobéissance» ? Il tient en grande partie à la séduction d’une posture et à une croyance qui s’entretient d’elle-même : la désobéissance permettrait de dépasser l’impuissance avérée de formes classiques de protestation, tels les pétitions, marches, grèves ou boycotts. Dans la langue des rebelles, le verbe «désobéir» promet trois choses : l’immédiateté (l’action directe non violente aurait la vertu de faire instantanément céder les pouvoirs), la médiatisation (l’esthétisation de la contestation assure d’être «vu à la télé» et sur les réseaux) et le refus de l’idéologie (le rejet de toute proposition qui pourrait paraître «politique»). C’est bien à partir d’une position morale que Thoreau, King ou Gandhi invitaient à désobéir à des lois iniques, une moralité qui était au-dessus de la loi et en exprimait l’injustice. Mais de quelles lois ici montrer et combattre l’injustice ? Les mobilisations actuelles sont portées par des raisons dont la justesse est indiscutable et forte (l’urgence climatique ou l’évasion fiscale) ; mais elles ne portent pas sur les causes qui expliqueraient ces raisons (le productivisme, le système financier, l’inégalité des rapports Nord-Sud). Elles font comme si les données de la science et les injonctions morales suffisaient pour convaincre les pouvoirs coupables de se rendre à leurs arguments et de changer leurs comportements en fonction des exigences de la justice climatique ou fiscale. Ce qui revient à oublier qu’un pouvoir est élu pour représenter une somme d’intérêts spécifiques, et que le faire céder n’est pas une affaire d’objectivité et de morale. Le militantisme politique de l’ancien monde consistait à comprendre la logique de ces intérêts et à analyser la rationalité à l’œuvre dans la prise de décision qui la matérialisait. Ce modèle d’action est en berne : ils ne sont plus très nombreux celles et ceux qui acceptent de se faire dicter ce qu’il convient de penser par une autorité supérieure dépositaire d’une théorie source de vérité et de mots d’ordre. Et nous vivons dans une époque où tout ce qui ressemble de près ou de loin à une expression de nature politique est devenu un objet de dérision et de dégoût. Dans ces conditions, appeler à la désobéissance permet de se dispenser de dire qu’on fait de la politique alors qu’on est (heureusement) en train d’en faire. Si les mobilisations actuelles sont convoquées sous le signe de la désobéissance civile, c’est qu’elles proposent de transgresser les formes normées du travail militant et de la protestation. La désobéissance nomme alors cet engagement physique et collectif qui exerce une pression incessante sur les gouvernements pour qu’ils prennent les «bonnes» décisions, mais sans présenter cela comme de la politique. Mais pourquoi faut-il dissimuler le politique sous la désobéissance ? Pour que les espoirs des rebelles ne soient pas déçus et que leur mobilisation ne s’épuise, on pourrait leur suggérer de mettre leurs pensées en accord avec leurs actes en constituant ce qu’on appelait au XXe siècle la théorie de leur pratique. L’exercice n’est ni simple ni enthousiasmant. Mais l’enjeu en est déterminant : expliciter le rapport au pouvoir d’un activisme qui veut en finir avec la désorganisation du monde qu’impose le capitalisme financier mais ne veut ni endosser cette responsabilité ni définir une ligne pour y arriver. En l’absence d’une telle explicitation, on peut craindre que les rebelles ne soient voués à s’en prendre aux apparences et non aux structures de la misère, physique et morale, du monde actuel. Plutôt que d’occuper des espaces et des bâtiments en attendant que les pouvoirs en place décrètent l’urgence climatique, puis prennent des demi-mesures que des assemblées citoyennes retoqueront - les trois points d’Extinction Rebellion -, pourquoi ne pas sauter ces étapes et gouverner directement pour le bien public ? Il suffirait d’ajouter un outil à ceux qui sont déjà utilisés : le vote. Il n’est pas nouveau, et on dira qu’il s’agit là de politique : et alors ? Si les rebelles avaient besoin d’une cause pour leur mouvement et pour commencer à changer concrètement l’ordre injuste des choses, pourquoi pas celle qui consiste à fixer un programme, à se présenter aux élections et, à l’improviste, à les gagner ?

Sandra LAUGIER philosophe , Albert OGIEN sociologue

J'ai entendu hier soir au poste une nana expliquer « Extinction rébellion », cette tribune reflète parfaitement la réponse que j'aurais aimé faire.

Et ce n'est pas fini...

 

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