Mourir pour des idées, l'idée est excellente ;
Moi j'ai failli mourir de ne l'avoir pas eue.
Car tous ceux qui l'avaient, multitude accablante
En hurlant à la mort me sont tombés dessus
Ils ont su me convaincre et ma muse insolente
Abjurant ses erreurs, se rallie à leur foi
Avec un soupçon de réserve toutefois,
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente,
D'accord, mais de mort lente.
Jugeant qu'il n'y a pas péril en la demeure
Allons vers l'autre monde en flânant en chemin ;
Car, à forcer l'allure, il arrive qu'on meure
Pour des idées n'ayant plus cours le lendemain.
Or, s'il est une chose amère, désolante
En rendant l'âme à Dieu c'est bien de constater
Qu'on a fait fausse route, qu'on s'est trompé d'idée ;
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente,
D'accord, mais de mort lente.
Les saint Jean bouche d'or qui prêchent le martyre
Le plus souvent, d'ailleurs, s'attardent ici-bas.
Mourir pour des idées, c'est le cas de le dire
C'est leur raison de vivre, ils ne s'en privent pas.
Dans presque tous les camps, on en voit qui supplantent
Bientôt Mathusalem dans la longévité
J'en conclus qu'ils doivent se dire, en aparté
"Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente,
D'accord, mais de mort lente".
Des idées réclamant le fameux sacrifice
Les sectes de tout poil en offrent des séquelles
Et la question se pose aux victimes novices
Mourir pour des idées, c'est bien beau mais lesquelles ?
Et comme toutes sont entre elles ressemblantes
Quand il les voit venir, avec leur gros drapeau
Le sage, en hésitant, tourne autour du tombeau
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente,
D'accord, mais de mort lente.
Encor’ s'il suffisait de quelques hécatombes
Pour qu'enfin tout changeât, qu'enfin tout s'arrangeât ;
Depuis tant de "grands soirs" que tant de têtes tombent
Au paradis sur terre on y serait déjà.
Mais l'âge d'or sans cesse est remis aux calendes,
Les dieux ont toujours soif, n'en ont jamais assez
Et c'est la mort, la mort toujours recommencée.
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente,
D'accord, mais de mort lente.
O vous, les boutefeux, ô vous les bons apôtres,
Mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas ;
Mais de grâce, morbleu ! Laissez vivre les autres !
La vie est à peu près leur seul luxe ici-bas.
Car, enfin, la Camarde est assez vigilante,
Elle n'a pas besoin qu'on lui tienne la faux
Plus de danse macabre autour des échafauds !
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente,
D'accord, mais de mort lente.
Georges BRASSENS
Et ce n’est pas fini…