J'en parle lundi à 20 heures sur La Clé des Ondes
In Slate du 10 mai 2023
C'est le futur gros chantier du gouvernement: réformer le revenu de solidarité active (RSA) et conditionner son versement à un minimum d'heures travaillées hebdomadaires par les bénéficiaires (entre quinze et vingt heures d'activités d'insertion et de formation). Cette réforme , qui pourrait entrer en vigueur de manière progressive dès 2024, à l'issue d' une phase de test lancée cette année , était une promesse de campagne d'Emmanuel Macron en 2022.
Pourtant, mis en place depuis le 1er juin 2009 (après une expérimentation dans plusieurs départements à partir de juillet 2007), en remplacement du revenu minimum d'insertion (RMI) , le RSA avait, dès le départ, un objectif de réinsertion et de retour à l' emploi
Contrairement à son prédécesseur, qui n'était qu'un revenu d'assistance versé aux personnes les plus démunies, le RSA –aujourd'hui fixé à 607,75 euros minimum pour une personne seule – devait permettre d'éviter les effets de seuil en autorisant le cumul d'un salaire et d'un minimum social provisoire. De même, il devait assurer un suivi régulier entre Pôle emploi et les bénéficiaires, afin de faciliter leurs démarches pour retrouver un travail.
Le RSA passerait pour une subvention de l'oisiveté inefficace
Pourtant, force est de constater que, une quinzaine d'années plus tard, le RSA n'est pas vraiment un succès sur le plan de l'emploi. Selon un rapport de la Cour des comptes publié en janvier 2022 , le dispositif, d'un coût de 15 milliards d'euros par an, n'assure pas une réelle et efficace réinsertion. En moyenne «sept ans après l'entrée au RSA d'une cohorte d'allocataires, seuls 34% en sont sortis et sont en emploi –et parmi ceux-ci, seul un tiers est en emploi de façon stable. 24% sont sortis du RSA sans emploi, dont un quart (soit 6% de la cohorte) bénéficie de l'AAH (l'Allocation aux Adultes Handicapés)]. Enfin, 42% sont encore au RSA.»
Dans le détail , le taux de retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA , de 3,9% par mois en 2019, est «très inférieur à la moyenne des demandeurs d'emploi (8,2%)» Le rapport conclut d'ailleurs que «bien que le RSA soit conçu pour être un filet de sécurité temporaire facilitant l'accès à l'activité, il ne joue ce rôle de manière durable que pour un tiers environ de ses bénéficiaires, ce qui pose la question de son adaptation aux personnes les plus durablement éloignées de l'emploi»
En effet, la Cour des comptes pointe un élément central dans la quête d'emploi, la problématique de l'hystérésis du chômage ou, autrement dit, le maintien durable au chômage , sans formation continue ni expérience, ce qui contraint et altère la reprise du travail. Un bénéficiaire du RSA qui resterait inactif trop longtemps verrait ses chances de retrouver un emploi s'amenuiser au fur et à mesure qu'il percevrait cette aide sociale. C'est d'ailleurs pour cette raison que le gouvernement souhaiterait imposer des heures travaillées à l'ensemble des allocataires (1,9 million de foyers en bénéficient, d'après les derniers chiffres de décembre 2022 ), afin qu'ils conservent des compétences et des connaissances, bénéfiques à la reprise professionnelle.
L'autre point concerne les emplois vacants. D'un nombre de près de 364.500 au quatrième trimestre 2022 , selon les dernières données de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du Travail, il y aurait une inadéquation entre les allocataires du RSA, officiellement désireux de retrouver un emploi, et les entreprises incapables d'embaucher, alors même qu'elles sont en demande.
Certains militent même pour imposer aux bénéficiaires des minima sociaux d'accepter des postes dans des secteurs en tension, notamment dans l'industrie et la restauration, afin de soutenir l'économie et d'éviter le développement d'un préjugé d' assistanat
Cette logique fait référence au "workfare", adopté en Grande-Bretagne, aux États-Unis et au Canada. Le concept renvoie à une posture idéologique par laquelle les gouvernants mettent en œuvre un ensemble de moyens basés sur l'incitation et la contrainte, dans le but de discipliner et de punir les chômeurs
Seulement, cette vision conditionnelle du versement des aides sociales n'est pas fonctionnelle et est infirmée par l'expérience. Elle maintient l'idée d'un choix opportuniste et stigmatisant des allocataires qui auraient sciemment fait le choix de ne pas travailler et de privilégier l'oisiveté et l'inactivité subventionnée. Or, la majorité des bénéficiaires sont désireux de retravailler et voient d'abord le travail comme un lien et un statut social, avant une contrainte. De plus, obliger les bénéficiaires à travailler met de côté toute une partie de la population qui bénéficie précisément d'une aide sociale parce qu'elle n'a pas les moyens physiques ou psychiques de retravailler.
Ensuite, il n'existe aucune espèce de preuve que contraindre les bénéficiaires à l'activité les conduirait à une reprise de l'emploi. À ce titre, le cas britannique est d'ailleurs intéressant, puisqu'après la mise en place d'une politique de workfare sous l'impulsion du gouvernement travailliste à la fin des années 1990 , le taux de chômage a augmenté et a atteint des niveaux historiques, tout comme le niveau de pauvreté
Selon Corinne NATIVEL, spécialiste du Royaume-Uni et professeure à l'Université Paris-Créteil, «en continuant à tabler aveuglément sur un régime “workfariste” pour répondre aux problèmes du chômage, de la précarité et de l'exclusion sociale, les autorités britanniques risquent fort de creuser le fossé entre État et citoyens» . Cela pourrait donc aussi être le cas en France.
Ce qui, fondamentalement, ne va pas avec le RSA, c'est que son principe n'a pas été traduit dans les faits . Lors de son instauration, l'idée était de favoriser le retour à l'emploi à travers un accompagnement renforcé et un suivi régulier des bénéficiaires. Or, aujourd'hui, «60% des bénéficiaires soumis aux “droits et devoirs” ne disposent pas de contrat d'accompagnement» d'après le rapport de la Cour des comptes
Autrement dit, aucun suivi, aucune individualisation, aucune aide ciblée, aucune offre de formation pour la majorité. C'est un problème de péréquation entre l'offre et la demande de travail, d'adéquation entre les demandes de travail et les capacités productives des offreurs. Pas d'une volonté de ne rien faire de la part de ces derniers.
C'est d'ailleurs ce que dénonce Martin HIRSCH, le créateur du dispositif et opposé au projet de conditionnalité du RSA . Dans une interview donnée à la matinale de France Inter, lundi 8 mai, l'ancien haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté puis à la Jeunesse (entre mai 2007 et mars 2010), sous la présidence de Nicolas Sarkozy , considère qu'on se trompe de cible.
«Les allocataires du RSA ont certes du mal à retrouver un emploi , reconnaît Martin HIRSCH Mais il y a six ans, il y avait environ 400.000 emplois aidés. Aujourd'hui, il y en a entre 50.000 et 100.000, principalement chez les jeunes et pas du tout chez les bénéficiaires du RSA. […] Quand on regarde les dépenses d'insertion des départements, elles ont baissé de 30% ces vingt dernières années. [...] Quand on regarde Pôle emploi, j'avais demandé l'obligation d'inscrire tous les allocataires du RSA. Est-ce que ça a été fait? Non. […] La responsabilité est plutôt du côté des organisations publiques, de la manière dont on met en place les instruments.» Pas de celles et ceux qu'on va forcer, en quelque sorte.
Et ce n'est pas fini...