Prof en Irlande
Je devais donc enseigner le français, mais j’avais aussi une période de remédiation en anglais. Je m’inquiétais de savoir si j’étais en capacité de le faire, et mes collègues m’ont dit que vu le niveau des élèves que j’allais avoir il n’y aurait aucun problème.
Comme le gaëlique est un enseignement obligatoire en Eire, je demandais quel était le niveau de gaëlique des élèves par rapport à mon niveau en anglais. Le prof de gaëlique me répondit : « Tu plaisantes ? Ce qu’il faudrait se demander, c’est quel est le niveau en anglais des élèves par rapport au tien ! »
L’école était dirigée par une bonne sœur, mais les enseignants étaient laïcs, quoique revendiquant le droit d’inculquer la doctrine catholique, « pour ne pas abandonner la religion aux curés ».
Le jour des cendres (ne me demandez pas de quoi il s’agit exactement) on me proposa de me faire une croix de cendres sur le front, ce que je déclinai poliment, et comme ce jour-là avait été décrété sans tabac, moi qui ne fumait pas autant que certains, j’ai beaucoup usé de la cigarette. On m’a trouvé original. Et ce soir-là, alors que j’étais invité à dîner chez John, sa femme me demanda quelle était ma religion. Quand je répondis « Aucune », ils encaissèrent le coup, et pour montrer qu’ils ne m’en voulaient pas, ils m’invitèrent deux fois plus souvent jusqu’à la fin de mon séjour.
A cette époque, je ne faisais pas encore de l’aïkido mais du judo, et j’étais en train de préparer mon premier dan. Je me renseignais sur l’existence de clubs à Ennis. J’en visitai un qui accueillait surtout des petits, et la prof, qui n’était pas plus gradée que moi, m’indiqua le club où elle s’entraînait. Je me retrouvais donc dans une salle paroissiale, avec une cheminée au milieu d’un mur, et dans laquelle nous devions installer les tatamis après avoir acquitté notre paiement hebdomadaire d’une livre irlandaise. Il n’y avait pas de douche, et certains pieds ressemblaient à des mains de mécanicien ! Quand le prof (qui était seulement 1er dan mais champion d’Irlande toutes catégories) me vit débarquer, il me proposa tout de suite de faire le cours, pour voir comment on faisait en France. Je refusai en disant que je n’étais pas préparé, mais que j’en ferai un la semaine suivante. J’avais donc préparé une progression, mais on ne fit pas appel à moi. Je fus à nouveau sollicité au bout de cinq semaines et mon cours fut apprécié. Après, bien entendu, nous nous retrouvions dans un pub, et j’étais surpris car un collègue instituteur ne buvait que du jus d’orange. Il m’expliqua qu’il avait fait vœu de tempérance, ou plutôt d’abstinence, et les différentes étapesde son engagement. J’en eus un exemple au collège : un jour, plusieurs élèves de 5ème arrivèrent avec une épinglette à la boutonnière. Devant mon interrogation, ils me répondirent : « M’sieur, ça veut dire qu’on est des pionniers, qu’on ne boit pas. » « J’espère bien ! » fut ma réponse. En fait, c’était leur premier vœu à douze ans, vœu qu’ils devaient renouveler à seize, et s’ils tenaient bon, prendre leur engagement définitif à vingt et un ans, je crois. Il s’agissait cependant d’une simple minorité.
Et ce n’est pas fini…