In Le Monde du 1er juin 2024 (extraits)
L’Ile-de-France connaît des prix de l’immobilier et des loyers particulièrement élevés, et compte 836 000 ménages en attente d’un logement social, soit deux fois plus qu’en 2010. Mais les salariés d’autres régions sont, eux aussi, victimes de la crise du logement. A Bordeaux, dans l’association d’aide et de soins à domicile dont Karima AMARA est déléguée syndicale, « on a désormais une bonne dizaine de collègues concernés chaque année, sur environ trois cents ». Une assistante sociale privée a été recrutée pour les aider à se reloger, et intervient de plus en plus longuement.
Les villes moyennes du littoral ouest ne sont pas épargnées. Arrivé à La Rochelle en février pour une reconversion dans le développement informatique, Ludovic LACOMBE gagne 1 800 euros et sa compagne, restée en Gironde, se porte garante. « Je n’ai pourtant trouvé que des colocations qui m’ont refusé ou des propriétaires préférant garder leur appartement vide en attendant de le louer l’été, très cher, sur Airbnb. » Il a fini par se rabattre sur une chambre chez l’habitant, louée sans bail, qu’il doit quitter le week-end ainsi qu’en juillet-août.
A Bayonne, où les résidences secondaires et les locations touristiques se sont aussi multipliées, Sarah, 28 ans, et son compagnon veulent s’installer ensemble depuis six mois. Educatrice canine à son compte, elle dort sur le canapé d’une amie. Son conjoint, en CDI dans la restauration, n’a pas quitté son foyer de jeunes travailleurs. Elle avait pourtant réussi à trouver, en 2019 et 2021, avec des critères identiques et des revenus moins élevés et réguliers.
Sur la rive sud du bassin d’Arcachon aussi,Jean-Roland Barthélémy a vu les locations à l’année se raréfier : « Dans ma rue de six maisons, dont une seule résidence secondaire, la proportion s’est inversée : je suis devenu le seul habitant permanent. » Il voit grossir le nombre de sans-domicile, au fil des maraudes avec son association, Entraide 33. « Ils sont environ 160, une vingtaine de plus qu’en 2023. Au moins la moitié travaillent.Parmi eux, certains sont considérés comme saisonniers, même s’ils vivent ici à l’année, enchaînant les CDD dans différents secteurs. Beaucoup vivent dans des camions aménagés ou leur voiture, ou alternent périodes sous tente et chez des proches… »
Ces situations individuelles deviennent-elles de plus en plus fréquentes ? « Le travail, surtout stable, reste un accélérateur de logement déterminant, rappelle le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, Manuel DOMERGUE. Mais il y a une persistance, voire une certaine aggravation du phénomène des travailleurs sans domicile ou sans logement personnel. »
Le nombre d’adultes en emploi qui vivent chez leurs parents ou chez des tiers est quasi stable depuis 2013 (il est passé de 1,458 à 1,454 million), montre une note de la Fondation Abbé Pierre exploitant l’enquête nationale Logement de l’Insee, réalisée en 2020. Une autre étude publique constate qu’en 2021 près de 17 000 adultes vivant en centre d’hébergement avaient un emploi déclaré (à 7 % en CDI), contre 4 000 en 2016 – des chiffres qui n’incluent pas les adultes hébergés dans des hôtels, dont le nombre a explosé.
Quelques indices laissent présumer une accentuation. En 2023, la Mission locale de Paris a accompagné 1 255 jeunes de 16 à 25 ans qui, malgré un emploi (à 75 % en CDI ou en CDD de plus de six mois), étaient à la rue ou hébergés de façon très précaire. « Ils avaient pourtant des emplois plus stables que les jeunes de même profil qu’on accompagnait en 2019 », remarque son directeur général, Nicolas Garnier. En un an, les délais pour obtenir un rendez-vous sont passés de deux semaines à un mois et demi. Au niveau national, les Comités locaux pour le logement autonome des jeunes « ont été plus sollicités par les jeunes en emploi, et même en emploi durable, qui ont plus de mal à trouver un logement autonome », indique leur déléguée nationale, Théodora LIZOP.
Le sociologue Gaspard Lion a, pour sa part, enquêté sur la nette expansion, depuis le début des années 2000, du camping résidentiel : « Surtout pratiqué par des personnes en emploi, ce camping résidentiel illustre les difficultés croissantes à se maintenir dans le logement ordinaire », résume le maître de conférences à l’université Sorbonne-Paris-Nord. Dans son ouvrage Vivre au camping (Seuil, 320 pages, 24 euros), il raconte le déclassement ressenti par un chauffeur routier, un agent de maîtrise ou encore un peintre en bâtiment, installés en mobil-home ou caravane sur un terrain municipal, à40 kilomètres de Paris, tout en espérant retrouver un « vrai » logement.
Matthieu Zacharie, 29 ans, débutait un CDI dans la restauration après s’être séparé de sa compagne et avoir dû revendre leur maison. « Ce [dispositif] m’a rapproché de mon lieu de travail, alors que j’étais hébergé par des amis à une heure et demie de route. J’ai ainsi eu le temps d’obtenir les trois fiches de paie demandées pour devenir locataire, d’obtenir la garantie Visale [qui remplace un garant] et d’économiser pour régler la caution et un loyer d’avance », salue-t-il. Devant le succès rencontré et la file d’attente qui s’allonge, le dispositif est déjà passé de cinq à dix studios, et pourrait être dupliqué ailleurs dans le département.
Et ce n'est pas fini...