In Libé Matin du 15 janvier 2023
Pour défendre son projet de loi, le gouvernement français fait la comparaison avec l’autre côté des Pyrénées, où l’âge de départ sera bientôt à 67 ans. Périlleux, tant les systèmes sont différents et tant celui de l’Espagne paraît en grande difficulté.
En Espagne, pays dirigé par les socialistes de Pedro Sánchez, allié à Podemos, la retraite est aujourd’hui à 65 ans (66 ans pour ceux qui ont cotisé moins de 37,5 ans) et sera en 2027 à 67 ans. Un héritage de l’ère Zapatero qui, en 2011, a fait voter ce report progressif de deux ans. C’est l’exemple brandi par les partisans de la réforme Macron-Borne pour justifier le report de l’âge légal de départ à la retraite, de 62 à 64 ans. C’est oublier que là-bas, la durée de cotisation est très inférieure à celle fixée en France : en 2022, pour partir à 65 ans, il fallait 37,5 annuités contre 42 (et bientôt 43) en France pour une pension complète.
Oublier aussi que, de l’autre côté des Pyrénées, le taux de remplacement net – soit le montant de la première pension de retraite rapporté à la dernière rémunération perçue en activité – est, selon l’OCDE, de 80 % contre 74 % en France. Oublier, enfin, qu’un récent accord entre syndicats et patronat prévoit d’augmenter dès cette année les pensions de 8,5 %, soit l’équivalent du taux d’inflation moyen l’an dernier : les plus de 65 ans toucheront un minimum de 10 963 euros par an, 13 525 euros pour ceux qui ont la charge d’un ou d’une conjointe.
Mais le système espagnol se porte-t-il mieux que le français ? Pas vraiment… Pour l’heure, on compte environ deux actifs pour un retraité. Et ce, en vertu d’un fonctionnement où seuls 40 % des salariés espagnols touchent plus qu’un retraité moyen. Cette année, le paiement des retraites va demander 224 milliards d’euros, alors que les caisses de la sécurité sociale ne rapportent que 152 milliards d’euros : ce déficit sera comblé par le budget annuel, contribuant ainsi au gonflement de la dette publique au-delà de 125 % du PIB.
Les prédictions d’ici trois décennies sont encore plus inquiétantes. A en croire Eurostat, si rien ne change d’ici 2050, le pays comptera presque autant de salariés que de retraités. L’Autorité indépendante de responsabilité fiscale prédit alors une dette publique à 191 % du PIB. Le pays a l’une des plus longues espérances de vie, près de 84 ans en moyenne, et l’essentiel des baby-boomers (4 millions d’entre eux auront atteint l’âge de la retraite dans dix ans) disposent d’une épargne chiche. Intenable…
Il faudra néanmoins être patient pour connaître les futures règles espagnoles. Attendu fin 2022, l’accord entre partenaires sociaux pour assurer la continuité de l’actuel système se fait attendre. L’équation est ardue pour le ministre de l’Inclusion, de la Sécurité sociale et des Migrations, José Luis Escrivà.
Les experts estiment qu’il n’existe que trois solutions. Baisser le montant des retraites ? Aucun parti de ne s’y risque. D’autant qu’un accord national, le pacte de Tolède de 1995, a gravé dans le marbre l’obligation de ne pas les désolidariser de l’inflation – accord qu’une commission a le devoir de vérifier tous les cinq ans. Repousser l’âge légal de la retraite ? Personne ne veut y toucher. Modifier le mécanisme de cotisations ? Le gouvernement socialiste – qui a déjà plafonné les retraites les plus élevées (au-dessus de 3 058 euros par mois) – propose une élévation graduelle du montant des cotisations, à hauteur de 30 % entre 2025 et 2050. Mais la Ceoe, syndicat du patronat, s’y refuse, arguant que cela porte préjudice aux entrepreneurs. La négociation est donc pour l’instant bloquée, même si Bruxelles fait pression pour la déverrouiller.
Du côté de l’opposition, les conservateurs du Parti populaire pour qui le «pays a un problème énorme de soutenabilité à moyen et long terme» n’apportent pas d’autres propositions concrètes. A l’orée de cette année électorale – municipales et régionales en mai, générales en décembre –, leur leader, Alberto Núnez Feijóo, s’est fendu d’une promesse d’aides publiques : un chèque de 200 à 300 euros pour 6 des 9 millions de retraités s’il parvient au pouvoir.
L’économiste Javier Díaz-Giménez voit une solution à moyen terme pour régler ce casse-tête d’un système par répartition où tout consensus semble impossible à arracher : «Il faudrait dire aux entreprises que dorénavant toutes les conventions doivent inclure un plan d’épargne retraite et qu’elles ont jusqu’à 2025 pour s’y adapter.» A plus long terme, il recommande de s’inspirer du modèle suédois, mixant des apports au système de répartition global et à des fonds de pension personnalisés.
Et ce n'est pas fini...