Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Bernard SARLANDIE

Londres

23 Mars 2023, 09:36am

Publié par Bernardoc

Et ce Londres de fonte et de bronze, mon âme,
Où des plaques de fer claquent sous des hangars,
Où des voiles s’en vont, sans Notre-Dame
Pour étoile, s’en vont, là-bas, vers les hasards.

Gares de suie et de fumée, où du gaz pleure
Ses spleens d’argent lointain vers des chemins d’éclair,
Où des bêtes d’ennui bâillent à l’heure
Dolente immensément, qui tinte à Westminster.

Et ces quais infinis de lanternes fatales,
Parques dont les fuseaux plongent aux profondeurs,
Et ces marins noyés, sous des pétales
De fleurs de boue où la flamme met des lueurs.

Et ces châles et ces gestes de femmes soûles,
Et ces alcools en lettres d’or jusques au toit,
Et tout à coup la mort parmi ces foules,
O mon âme du soir, ce Londres noir qui traîne en toi !


 

Emile VERHAEREN, Les soirs

Et ce n'est pas fini...

 

Voir les commentaires

New York

22 Mars 2023, 17:57pm

Publié par Bernardoc

Y’a ceux qui fument de longs cigares
Dans des voitures blanches à rallonges
Qui coincent leur cul sur les boul’vards
Tell’ment elles s’traînent comme des éponges

V’là l’Hudson River qui dégorge
Ses flots noueux lourds comme du fiel
Qui sentent la graisse sous l’fer qui ronge
Cette vie fragile sous son coin d’ciel

Soudain l’orage chute comme une masse
Et vient répandre son vitriol
Qui défigure ces grandes Jorasses
Gainées d’acier et d’alvéoles

Le soir sous l’arc des néons
La poussière colle au macadam
On cherche sa vie comme un filon
On ronge ses nuits au feu des flammes

On puise nos rêves dans ses artères
Sur les fantasmes d’Indiens morts
Dans cette musique à fleur de nerf
Dans son ciné multicolore

Elle est aussi bête inhumaine
Quand elle s’entête à dévorer
La chair de ses fils comme une chienne
Sous ses crocs blancs et acérés

Elle expire d’un poumon asthmatique
Ses métamorphoses excessives
Qui sous ses fièvres épileptiques
Animent son ventre de fille active

Elle est crédule comme un enfant
Et cherche Dieu au coin d’un bloc
Sous la voix de ses noirs prêchants
A coups de muscles, à coups de crosses

Didier VENTURINI, 1997

Et ce n'est pas fini...

 

Voir les commentaires

Chemins de l’Est

21 Mars 2023, 09:53am

Publié par Bernardoc

Quand j’étais Russe, il m’arrivait
de m’appeler Katia, Masha, Tania.
J’avais une niania,
une baba, tout ce qui chante en « a »
dans les noms russes.
Dans notre isba
Notre-Dame de Portchaïef luisait
comme une étoile et dehors les étoiles
luisaient comme la mosaïque
de notre église à Pâques.
Et sur la terre pâle
de sa pâleur de neige ou rouge
de ses coquelicots, courait comme le vent
mon beau petit cheval de Sibérie.

Traîneaux, bateaux, troupeaux, blanche et rouge Russie,
danses, musique de chez moi, quand j’étais Russe…
Pouvoir de tant souffrir, d’être si vieux, si jeune,
de faire un geste de la main sans pleur ni cri.
J’avais de longues tresses blondes
comme aujourd’hui.

 

Sabine SICAUD, Les poèmes de Sabine Sicaud, 1958 (Recueil posthume)

Et ce n'est pas fini...

Voir les commentaires

A Londres au crépuscule

20 Mars 2023, 17:20pm

Publié par Bernardoc

Les rues en diamants et leur soyeux pavage,
Comme des serpentins lâchés des toits obscurs,
Glissent, de pas en pas, le long de mers de murs,
Tapissés du soleil de vitrine en voyage.

Un bus à impériale et son rouge ramage
Croise une limousine aux fourreaux de noirs purs,
L’un éteignant le jour et ses rêves d’azurs,
L’autre incendiant la nuit d’une ivresse volage.

La Tamise soudain se pare de colliers,
Et Big Ben se maquille à l’or de ses aiguilles,
Chuchotant des dîners, fards des joailliers.

La magicienne alors entre de scène en scène
Soulevant les rideaux dont les tons de charmilles
Font frissonner la ville aux plaisirs des mécènes.


 

Francis Etienne SICARD, Lettres de soie rouge, 2011

Et ce n'est pas fini...

Voir les commentaires

Bruxelles

19 Mars 2023, 11:56am

Publié par Bernardoc

Plates-bandes d’amarantes jusqu’à
L’agréable palais de Jupiter.
– Je sais que c’est Toi qui, dans ces lieux,
Mêles ton bleu presque de Sahara !

Puis, comme rose et sapin du soleil
Et liane ont ici leurs jeux enclos,
Cage de la petite veuve !…
Quelles
Troupes d’oiseaux, ô ia io, ia io !…

Calmes maisons, anciennes passions !
Kiosque de la Folle par affection.
Après les fesses des rosiers, balcon
Ombreux et très bas de la Juliette.

La Juliette, ça rappelle l’Henriette,
Charmante station du chemin de fer,
Au cœur d’un mont, comme au fond d’un verger
Où mille diables bleus dansent dans l’air !

Banc vert où chante au paradis d’orage,
Sur la guitare, la blanche Irlandaise.
Puis, de la salle à manger guyanaise,
Bavardage des enfants et des cages.

Fenêtre du duc qui fais que je pense
Au poison des escargots et du buis
Qui dort ici-bas au soleil.
Et puis
C’est trop beau ! trop ! Gardons notre silence.

  • Boulevard sans mouvement ni commerce,
    Muet, tout drame et toute comédie,
    Réunion des scènes infinie
    Je te connais et t’admire en silence.

     

Arthur RIMBAUD, Derniers vers

Et ce n'est pas fini...

 

Voir les commentaires

Dordrecht

18 Mars 2023, 09:45am

Publié par Bernardoc

Ton ciel toujours un peu
bleu
Le matin souvent un peu
pleut

Dordrecht endroit si beau
Tombeau
De mes illusions chéries

Quand j’essaye à dessiner
Tes canaux, tes toits, ton clocher
Je me sens comme aimer
Des patries

Mais le soleil et les cloches
Ont bien vite resséché
Pour la grand-messe et les brioches
Ton luisant clocher

Ton ciel bleu
Souvent pleut
Mais dessous toujours un peu
Reste bleu.

 

Marcel PROUST, Poèmes

Et ce n'est pas fini...

 

Voir les commentaires

Morceaux choisis

17 Mars 2023, 09:47am

Publié par Bernardoc

Diop a écrit,
Afrique mon Afrique,
Et il a décrit,
Celle qu’il a aimée.

Moi, je me souscris,
Au continent
Afrique,
Qui m’a nourrie,
Et de son sel (et de son eau), j’ai avalé.

Continent nègre,
Négresse du monde,
Ma gratitude est maigre,
Et mon ivresse gronde.

Ma mémoire se souvient, inique,
Tu m’enchantes et je m’écrie,

Afrique mon Afrique,
Diop a écrit.


 

Nashmia NOORMOHAMED, 1999

Et ce n'est pas fini...

Voir les commentaires

Espagne

16 Mars 2023, 13:51pm

Publié par Bernardoc

Mon doux pays des Espagnes
Qui voudrait fuir ton beau ciel,
Tes cités et tes montagnes,
Et ton printemps éternel ?

Ton air pur qui nous enivre,
Tes jours, moins beaux que tes nuits,
Tes champs, où Dieu voudrait vivre
S’il quittait son paradis.

Autrefois ta souveraine,
L’Arabie, en te fuyant,
Laissa sur ton front de reine
Sa couronne d’Orient !

Un écho redit encore
A ton rivage enchanté
L’antique refrain du Maure :
Gloire, amour et liberté !


 

Gérard de Nerval, Odelettes

Et ce n'est pas fini...

 

Voir les commentaires

Ferrare

15 Mars 2023, 09:52am

Publié par Bernardoc

Que l’on soit homme ou Dieu, tout génie est martyre :
Du supplice plus tard on baise l’instrument ;
L’homme adore la croix où sa victime expire,
Et du cachot du Tasse enchâsse le ciment.

Prison du Tasse ici, de Galilée à Rome,
Échafaud de Sidney, bûchers, croix ou tombeaux,
Ah ! vous donnez le droit de bien mépriser l’homme,
Qui veut que Dieu l’éclaire, et qui hait ses flambeaux !

Grand parmi les petits, libre chez les serviles,
Si le génie expire, il l’a bien mérité ;
Car nous dressons partout aux portes de nos villes
Ces gibets de la gloire et de la vérité.

Loin de nous amollir, que ce sort nous retrempe !
Sachons le prix du don, mais ouvrons notre main.
Nos pleurs et notre sang sont l’huile de la lampe
Que Dieu nous fait porter devant le genre humain !

(Trentième Méditation, improvisée en sortant du cachot de Tasse.)

Alphonse de Lamartine, 1844

Et ce n'est pas fini...

 

Voir les commentaires

A l’Etna

14 Mars 2023, 08:34am

Publié par Bernardoc

Etna – j’ai monté le Vésuve …
Le Vésuve a beaucoup baissé :
J’étais plus chaud que son effluve,
Plus que sa crête hérissés …

Toi que l’on compare à la femme …
– Pourquoi ? – Pour ton âge ? Ou ton âme
De caillou cuit ? … – Ça fait rêver …
– Et tu t’en fais rire à crever ! –

Tu ris jaune et tousses : sans doute,
Crachant un vieil amour malsain ;
La lave coule sous la croûte
De ton vieux cancer au sein.

  • Couchons ensemble, Camarade !
    Là – mon flanc sur ton flanc malade :
    Nous sommes frères, par Vénus,
    Volcan ! …
    Un peu moins … un peu plus …


 

Tristan CORBIERE, Les Amours jaunes

Et ce n'est pas fini...

Voir les commentaires