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Le blog de Bernard SARLANDIE

En Antarctique, la révolte des scientifiques français du grand froid

21 Septembre 2023, 11:48am

Publié par Bernardoc

In L'Humanité du 21 septembre 2023 (extraits)

Isolés dans les terres Australes et Antarctiques françaises, sous-payés et méprisés, les chercheurs de l’Institut polaire français, embauchés en service civique, se lancent dans un bras de fer avec leur direction. Ils demandent la reconnaissance de tout ce qu’ils accomplissent au quotidien et le respect du droit du travail.

Ils sont envoyés dans les terres Australes et Antarctiques françaises pour mener des missions cruciales pour le climat et la biodiversité. Et tout ça pour à peine 1 000 euros par mois. Telle est la situation de scientifiques surdiplômés, travaillant à l’autre bout du monde avec, pour seul statut, un service civique.

Isolés – le prochain bateau qui pourrait les rapatrier ne part pas de l’île de La Réunion avant début novembre –, ils ont néanmoins décidé d’entamer un bras de fer avec l’Institut polaire français Paul-Émile-Victor (Ipev) depuis que leur « employeur » leur a annoncé que, en raison d’un contrôle Urssaf, ils devaient payer leurs cotisations CSG et CRDS, avec effet rétroactif. Leur indemnité de 1 050 euros est passée d’un coup à 850 euros.

Il faut se rendre compte qu’on est plus isolés que sur la Station spatiale internationale où, en cas d’accident grave, une capsule permet d’arriver à l’hôpital en quarante-huit heures. Ici, dans le meilleur des cas, le bateau met 5-6 jours juste pour arriver en ligne droite. »

Du côté de l’Ipev, le service civique ne pose pas de problème. « Il y a 83 000 volontaires qui font des missions diverses et variées, c’est un engagement pour une cause. Et la nôtre est la science », assure Nathalie METZLER, directrice adjointe de l’institut. Et si ce dispositif est destiné aux 18-25 ans, l’Ipev affirme disposer d’une « dérogation ». « Ils sont volontaires, adultes, et sont partis en mission en toute connaissance de cause, parce que c’est leur rêve. Il y en a qui paieraient pour partir », insiste la directrice adjointe.

Les volontaires revendiquent non seulement de la reconnaissance salariale, mais aussi le respect du droit social. Là encore, l’Ipev brandit le statut. « Ils veulent qu’on comptabilise les trajets comme temps de travail. Mais on est dans un cadre d’engagement volontaire, on n’est pas dans le Code du travail, estime Nathalie METZLER. De la même manière, jamais les précédents volontaires ne considéraient les tâches collectives et de survie comme du temps de travail. »

Leurs collègues de terre Adélie doivent ajouter à ces charges des quarts de veille pour s’assurer du bon fonctionnement permanent de l’électricité et du chauffage. Il en va de la survie de tous, la température est régulièrement tombée sous les – 30° ces derniers mois.

Un profond sentiment d’injustice s’est ainsi installé chez ces volontaires, nourri du fait que les salariés sur place n’ont pas toutes ces obligations, protégés, eux, par le droit du travail. « Certaines bases accueillent des scientifiques européens. Sur la franco-italienne de Concordia, en Antarctique, mes homologues français en volontariat international en administration touchent 1 900 euros ! Des scientifiques allemands peuvent gagner en 2000 et 3 000 euros par mois »

Au fil des jours et des appels en visioconférence avec la direction de l’institut, la situation s’est tendue. L’ensemble des volontaires s’est ainsi tourné vers l’avocat spécialisé en droit social Kevin Mention pour rédiger une mise en demeure, adressée à l’Ipev, début septembre. Tous l’ont signée, rejoints par six anciens services civiques.

En réponse à leur refus unanime de parapher l’avenant à leur contrat entérinant leur baisse de rémunération, un mail les a informés qu’ils n’étaient plus couverts par l’assurance de l’Ipev et les a menacés de devoir payer gîte et couvert, en attendant une solution de rapatriement.

La direction dit rechercher des bateaux de pêche à détourner, même si certaines bases sont encore inaccessibles sans brise-glace. « C’est complètement irresponsable. On n’est plus simplement dans le cadre d’un manquement à l’obligation santé et sécurité d’un employeur, dénonce maître Mention. On se rapproche plutôt du harcèlement moral : Il s’agit clairement d’une situation de travail dégradé, avec des conséquences psychologiques très réelles pour les volontaires. »

Le conflit s’est enraciné en plein cœur de l’hiver austral, marqué par des tempêtes à répétition, dans l’isolement le plus total. À la suite de ces pressions, certains volontaires ont accepté, lundi, de signer l’avenant à leur contrat, en précisant bien par écrit qu’il le faisait sous la contrainte.

Clémence Guetté, députée France insoumise et coprésidente du groupe d’études sur les pôles à l’Assemblée nationale, nous fait savoir qu’elle vient de déposer une proposition de loi transpartisane justement sur la question du financement de la recherche polaire, pour réclamer plus de fonds, avec l’idée d’obtenir à terme une loi de programmation. Elle appelle le gouvernement à mettre rapidement ce texte à l’ordre du jour.

Et ce n'est pas fini...

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