In L'Humanité du 19 janvier 2024
Les chiffres, cette année encore, sont accablants. Depuis 2016, la CGT chômeurs épluche les offres mises en ligne par Pôle emploi, pour s’assurer de leur conformité. La dernière enquête, publiée ce jeudi, montre que 61,1 % de ces dernières seraient illégales. « C’est un problème politique,assure Pierre GARNODIER, secrétaire général du syndicat. Le gouvernement s’appuie sur le nombre soi-disant élevé d’offres proposées pour justifier la pression mise sur les privés d’emploi qui ne trouvent pas de travail. Mais, ce que nous montrons, c’est que la majorité de ces offres sont illégales. »
Les équipes du syndicat ont passé près de 1 200 annonces au tamis d’une grille d’analyse comprenant plus d’une dizaine de critères : existence d’un lien Internet valable renvoyant à l’offre d’emploi, mentions discriminatoires, annonces conformes à la réalité, mentions susceptibles d’induire le demandeur en erreur, etc. Un travail de bénédictin, effectué en deux journées marathon par une quinzaine de membres du syndicat. L’Humanité a pu assister à l’une des sessions. Ce mardi matin, une quinzaine de personnes s’affairent autour de la table, dans une ambiance studieuse qui n’exclut pas les rigolades. Devant eux, des piles d’offres extraites du site de Pôle emploi attendent d’être expertisées. Régulièrement, les enquêteurs appellent les entreprises recruteuses, histoire de s’assurer que l’intitulé de l’offre correspond bien à la réalité. Les appels sont systématiquement filmés, par souci de transparence.
« Un peu de silence, s’il vous plaît ! » lance quelqu’un à la cantonade, en mimant un clap de cinéma. Le faux entretien démarre, sous les regards attentifs de l’assistance.« Bonjour, madame, j’ai vu une annonce de chef de chantier qui m’intéressait, mais je voulais m’assurer que c’est bien un contrat de dix-huit mois, comme indiqué sur l’annonce. »À l’autre bout du fil, l’employée de l’agence d’intérim ne tarde pas à vendre la mèche : au départ, les candidats recrutés ne signent que pour une semaine.« Pour quelle raison ? »demande l’enquêteur. Réponse de l’agence :« C’est une demande du client. »
« En réalité, il s’agit d’un mensonge quasi systématique !assène Vladimir Bizet-Guilleron, agent administratif à Pôle emploi depuis 2005 et encarté à la CGT, qui pilote la session.La plupart des agences affichent des durées de travail fallacieuses. Elles cherchent avant tout à récupérer des CV pour se constituer un vivier de candidats. »Avec le temps, Vladimir est devenu un expert en offres bidon, qu’il débusque d’un coup d’œil. À chaque secteur d’activité, ses spécificités :« Pour les aides à domicile, l’arnaque porte surtout sur le nombre d’heures proposées. Il y a énormément de plateformes qui indiquent des volumes horaires sans rapport avec la réalité, dans le seul but d’appâter les candidats. »
Au chômage depuis quatre ans, Alexis participe lui aussi à la journée d’enquête. Il a déjà appelé une vingtaine de sociétés, ce matin, dont trois seulement« étaient dans les clous ». Il nous livre les« pépites »du jour. Il y a, par exemple, cette entreprise d’intérim qui avoue placidement que la durée du contrat de travail est déterminée à la tête du candidat : cela peut être une semaine comme un an et demi. Ou une autre qui avoue qu’à diplôme équivalent, ils préféreront embaucher une personne handicapée, pour percevoir des aides. Alexis décerne une mention spéciale à cette annonce intitulée « métallier-serrurier » qui, en fait d’offre d’emploi, propose au candidat d’acheter… une serrurerie de 229 000 euros, sise dans le 18e arrondissement de Paris.« À visiter rapidement », tient bon de préciser le site.
Et puis, en parcourant les annonces d’emploi qui s’empilent sur le bureau, on en trouve d’autres, parfaitement légales, qui en disent long néanmoins sur la précarisation du travail. La prestigieuse École alsacienne, établissement scolaire fréquenté par tout le gotha (dont le nouveau premier ministre), recherche un surveillant en CDI. Modestie salariale exigée : la durée de travail est de huit heures par semaine, soit 404 euros brut par mois. Mieux encore, une plateforme propose une garde d’enfant à domicile, mais pour la seule journée du 12 janvier,« de 12 heures à 18 heures ».
« En parcourant les offres proposées dans les services à la personne, on se rend bien compte de leur caractère hyper-précarisant,dénonce Victoire, qui épluche elle aussi les annonces.Il ne s’agit pas ici de sortir les gens du chômage, mais seulement de les faire sortir pendant quelques mois de la catégorie A de Pôle emploi (demandeurs n’exerçant aucune activité, même réduite)… »
Et ce n'est pas fini...