Repos
Donc, vraisemblablement retour début décembre.
Pour éviter d'avoir à me répéter, notes en vrac d'un retraité, incorrigible militant.
Le réfectoire du collège Paul Langevin était le nec plus ultra…en 1972, date de sa construction. C’était ce qu’on appelait à l’époque une « salle polyvalente ». Les tables, boulonnées au sol, recouvertes de formica marron foncé avaient la particularité de pouvoir se replier, découvrant ainsi un banc qui permettait effectivement de transformer cette salle à manger en salle de conférences.
Or, un jour, le rapport du laboratoire d’hygiène revint en indiquant que des bactéries foisonnaient sur une des tables. C’était la première fois qu’un tel rapport nous était adressé. Je demandais donc au gestionnaire de s’enquérir de ce défaut de nettoyage. Peu de temps après une agent de service débarqua dans mon bureau et me demanda de l’accompagner à la salle à manger pour me montrer où le prélèvement avait été fait ; c’était sur une table dont une petite partie du formica avait été décollée, mettant à jour le plateau aggloméré ; quoi qu’on fasse, il était impossible de nettoyer dans les plus strictes règles d’hygiène cette table, ce qui mettait en danger la santé de nos élèves (sinon le laboratoire n’aurait pas noté cette remarque).
Tout en reconnaissant la solidité du matériel d’origine qui avait déjà résisté depuis plus de trois décennies, je demandai au Conseil général le remplacement de ce mobilier, faute de quoi, par principe de précaution, je me verrais dans l’obligation de fermer le service de restauration.
Très rapidement, le Conseil général dépêcha un technicien, puis la Camif pour chiffrer les travaux et nous permettre de penser à l’agencement du futur mobilier. J’étais content : la collectivité propriétaire se décidait enfin à faire un effort d’entretien de son patrimoine. Tout devait se faire pendant l’été.
Au début juin, coup de téléphone d’un cadre du Conseil général qui me demanda si les tables étaient vissées au sol. Devant ma réponse positive, il me rétorqua que le changement devait être différé ; en effet, le sol contenait de l’amiante et il n’y avait pas eu de budget prévu pour la rénovation et la mise en sécurité sanitaire du sol.
Nous attendîmes donc un an pour avoir une belle et agréable salle à manger. Lors de la première semaine de rentrée échelonnée, je m’installai non pas dans la salle à manger de commensaux mais sur une table face à la porte d’entrée du réfectoire. Et je fus bien récompensé de mes efforts en voyant expressions ravies et étonnées des élèves qui n’avaient pas été prévenus de l’amélioration qui les attendait.
Et ce n’est pas fini…
Notre premier voyage en Angleterre avait bien failli être mort-né. En effet, les dates retenues coïncidaient avec l’envoi massif des troupes états-uniennes et britanniques vers l’Irak où elles partaient chercher des « armes de destruction massive ». (Quelques années plus tard, elles n’ont toujours rien trouvé, ont même avoué que c’était un mensonge, mais elles occupent toujours le pays en s’étonnant de subir des actions de résistance.) Craignant des attentats, au moins deux familles ont annulé leur voyage et certains enseignants étaient refroidis pour entreprendre ce voyage. Nous l’annulâmes donc et grâce à la ténacité de Viviane, nous parvînmes à le décaler dans le temps, pour le même prix alors que nous n’avions pas souscrit d’assurance, une erreur que nous ne recommettrons plus.
L’année suivante, je décidais de faire visiter le Pays de Galles aux voyageurs, avec concours à la clé, et ce fut aussi une expérience très réussie.
Un autre groupe partait en Italie, et ce fut l’occasion d’une belle fureur de ma part lorsque je reçus une lettre du voyagiste qui retranscrivait les propos d’un transporteur de Mérignac qui, pour faire simple, traitait nos enfants de voyous. Après une mise au point musclée, j’obtins une lettre d’excuses après avoir proposé au voyagiste de changer de transporteur puisque notre clientèle semblait lui poser problème. Cela ne se fit pas, mais nos élèves n’eurent pas droit au dernier « Pulmann » mis sur le marché !
Ces voyages, quoi qu’ait pu en dire le Recteur, permettaient une large ouverture sur le monde, très importante pour nos élèves défavorisés de Zone Urbaine Sensible. Pour certains d’entre eux, c’était la première fois qu’ils quittaient le territoire national, voire peut-être la dernière avant des années pour beaucoup d’autres.
Mis à part les deux destinations précitées, nos élèves ont eu la possibilité d’aller en Espagne et même en Grèce, sans compter plusieurs voyages thématiques dans la capitale. Ma présence à la gare au départ comme au retour surprenait mais rassurait élèves, parents et enseignants.
Ces multiples voyages pédagogiques « lointains » n’excluaient pas, bien entendu, la découverte des sites girondins, qui faisait partie de l’accueil des sixièmes, accueil qui se déroulait selon les préceptes du recteur Monteilh, codifiés par plus tard par Ségolène Royal.
Et ce n’est pas fini…
Lorsque je suis arrivé à Langevin, il n’y avait plus de voyages en Grande Bretagne. Les professeurs m’avaient révélé leur réticence à continuer à organiser ces voyages : lors du dernier voyage, certains élèves avaient refusé d’entrer à St Paul’s cathedral à Londres, sous prétexte qu’ils étaient musulmans. Devant une telle aberration, absolument infondée, il avait été décidé de suspendre ces voyages pédagogiques enrichissants.
Ce n’était pas la première fois que j’entendais ce genre d’intrusion dans l’école laïque : à Goya, déjà, j’avais dû me battre pour que les élèves obéissant à un dogme ne monopolisent pas une salle au moment du ramadan pour la transformer en lieu de culte, puisque, comme leurs parents ne leur faisaient pas à manger, ces derniers estimaient que l’Education nationale (publique, laïque, gratuite et obligatoire) pouvait servir de garderie. Je les encourageais, au contraire, à rentrer chez eux et profiter de cet instant de repos privilégié pour communiquer avec leurs parents. La foutaise allait même jusqu’au refus de certains de porter le pipeau à la bouche sous prétexte que les cours de musique avaient lieu dans la journée !...
Donc, au cours de ma troisième année à Langevin, une équipe pluridisciplinaire (histoire-géographie-éducation civique, physique-chimie et anglais) décida de proposer à nouveau un voyage outre-manche et, divine surprise, ils me sollicitèrent pour participer à l’encadrement. Quel plaisir ce fut de me retrouver une nouvelle fois au contact direct des élèves pendant une semaine. Les rapports étaient totalement différents, les comportements s’amélioraient, car la discipline, plus souple, était fondée sur la confiance. Je leur signifiai que certains comportements, acceptés au cours du voyage, ne seraient, bien entendu, plus tolérés de retour au collège. Et je n’eus pas besoin de répéter cette consigne à Mérignac.
Le retour, la projection du film réalisé par les enseignants, les parents invités avec les friandises qu’ils avaient préparées pour partager, tout ceci aura contribué à graver de forts souvenirs dans les mémoires de nos élèves.
Et ce n’est pas fini…
A moins d’être sourd, aveugle ou reclus, vous n’êtes pas sans ignorer qu’il y a aujourd’hui vingt ans, tombait le mur de Berlin. Heureusement, ce matin sur Radio France un éditorialiste a rendu hommage au grand visionnaire, prix Nobel de la Paix, qui fut à l’origine de ces changements, Mickaël Gorbatchev.
A l’époque, après avoir manqué le vingtième anniversaire d’ « une révolution manquée qui faillit renverser l’Histoire »* pour cause de Polynésie, nous venions de célébrer le bi-centenaire de LA révolution française (et quelle ambiance sur les Champs Elysées où nous étions ! ).
Nous étions en stage d’Esperanto à la Maison de la Promotion Sociale à Artigues près Bordeaux, et je participais à un groupe animé par Maria, une Allemande qui trouvait que j’avais un accent néerlandais ! Bien entendu, la seule idée qu’elle avait en tête, c’était de parler de ce qui se passait dans son pays. Un peu ça allait, mais je n’avais pas envie de passer toute la durée du stage sur ce sujet.
Je proposais donc que nous réfléchissions à ce qui se passait en Afrique où toute une génération (la mienne, celle des quadras) de cadres était en train d’être décimée par le Sida, mettant ainsi en grand danger l’avenir de ce continent trente ans après le début des indépendances. Je n’obtins hélas, pas beaucoup de succès sur ce thème.
Qu’en est-il vingt ans plus tard ? La plupart des pays d’Afrique, quand ils ne sont pas en guerre doivent obéir aux diktats du FMI pour ne pas sombrer dans la faillite alors que Die Linke, parti de gauche, est en train de progresser dans toutes les élections de l’Allemagne, preuve, s’il en était que les lendemains capitalistes ne font pas chanter tout le monde.
Non, décidément, aujourd’hui je vais écouter mes CD qui ne sont pas encore emballés pour le déménagement.
Et ce n’est pas fini…
*Renaud, Hexagone
Donc, de nombreuses arrivées en cette rentrée 2001. Un nouveau professeur de physique m’appelle dès sa nomination pour me dire qu’il était « sur ci terre ». « Sur Cythère ? » « Oui, je n’ai pas fait mon service militaire et cela me ferait de la peine d’abandonner mon poste en cours d’année. » C’était l’époque où on ne savait que faire des conscrits qu’on envoyait (en civil ! ) dans les collèges de ZEP pour des fonctions d’encadrement. Je pris donc ma plus belle plume et écrivit à qui de droit en demandant que cet enseignant, même s’il devenait « sous les drapeaux » pendant l’année scolaire, soit maintenu sur son poste de notre collège de Zone Urbaine Sensible. Le résultat alla au-delà de mes espérances puisque le Président Chirac décida quelques semaines plus tard de supprimer la conscription.
Les nouveaux arrivants, dans quasiment toutes les disciplines, se partageaient par moitié entre hommes et femmes, ce qui était une bonne chose, tant par le renouvellement que par la mixité. Je choisis cette année-là de pratiquer ce que j’ai poursuivi jusqu’à ma retraite, c'est-à-dire de recevoir courant janvier chaque nouvel arrivant nommé à titre définitif pour un entretien qui, selon la tournure, s’étendait de trois quarts d’heure à deux heures et demie (pour l’infirmière).
Ces entretiens se révélèrent fort appréciés ; une collègue, qui reflétait l’opinion quasi générale, me dit : « Quand on arrive dans cet établissement (vieux « Pailleron » amianté de 1972 n’ayant jamais reçu une couche de peinture depuis), on n’a qu’une envie, c’est d’en repartir au plus vite ; mais cette occasion de vous rencontrer et de faire le point au bout d’un trimestre nous permet d’être moins catégorique. »
Vinrent ensuite, outre les stages d’équipes, les journées banalisées (vestiges du ministère Bayrou) de réflexion pour la construction du projet d’établissement, l’investissement de l’équipe éducative (y compris donc avec les parents) lors des journées « Sport et santé » organisées dans le cadre du CESC et pilotées par le Principal-adjoint et l’infirmière, les « recadrages» nécessaires niveau par niveau avec un seul orateur, le Principal, mais avec l’ensemble du personnel (des secrétaires aux cuisiniers, des professeurs aux aides-éducateurs) qui faisait bloc derrière lui, tout cela créait vraiment un sentiment de solidarité et une volonté de progresser ensemble.
D’ailleurs, si j’avais impulsé les premiers stages d’équipes, les années suivantes ce fut le personnel qui les proposait, je n’intervins que lors de la cinquième année pour proposer un Atelier d’Analyse de Pratiques Professionnelles auquel adhérèrent plusieurs catégories : enseignants (collège et Segpa), CPE, infirmière,… Ce stage long (six demi-journées réparties sur l’année) décida certaines à entreprendre une formation d’animatrices.
Et ce n’est pas fini…
J’avais connu la Classe Préparatoire à l’Apprentissage à Goya, d’où j’arrivais. C’était une survivance en Gironde, car ces classes avaient officiellement disparu de l’enseignement public avec l’arrivée de la Loi d’Orientation de 1989. Il s’agissait de classes en alternance où la moitié de la division était en classe tandis que l’autre moitié était chez un patron. Le contrat avec un patron était une condition sine qua non pour être admis en CPA.
A Goya, elle était prise en charge par une institutrice, qui aimait beaucoup les enfants et savait s’y prendre avec les élèves en difficulté. Et malgré tout, j’ai pu voir les conditions de sortie se dégrader au fil des sept ans que j’ai passés dans cet établissement de ZEP de centre-ville. Au début, 80% des élèves signaient un contrat d’apprentissage à la fin de leur scolarité, mais en atteignant la fin du siècle, souvent c’était 80% qui restaient sur le carreau, dictature de l’économie oblige.
A Langevin, il n’y avait pas d’instit’ pour prendre en charge la 3°CPA. On ne pouvait même pas parler d’équipe, les professeurs y allaient à reculons, bien souvent pour compléter leur service. Et s’ils y allaient à reculons, c’est qu’il s’agissait d’une classe dans laquelle étaient regroupés les pires élèves qui sortaient de 4ème . Malgré cela, le professeur principal, qui était une enseignante de technologie, faisait un boulot remarquable, et on sentait bien qu’elle avait commencé sa carrière au primaire.
Je proposais donc sa suppression : rude bataille au Conseil d’Administration, juste avant que l’Inspection académique décide de se mettre en conformité avec la loi. J’aurais donc pu me dispenser de cet affrontement. Afin de prendre les choses de façon plus positive que ce qui existait, je demandais l’ouverture d’une 4ème Aide et Soutien plutôt que d’une 3ème d’Insertion, car la 4AeS nous permettait de recruter en interne, alors que la 3I devait accueillir des élèves en difficulté venant d’autres établissements. L’objectif était de réinjecter la moitié des effectifs dans une troisième classique et de construire un projet d’orientation pour les élèves qui n’auraient pas tiré profit de cette année dans une division en nombre réduit. Et pendant les cinq années où cette classe a fonctionné sous ma direction, l’objectif était régulièrement atteint, ou du moins très approché. Une des plus belles réussites fut cet élève issu de 5ème Segpa, qui après la 4AeS est parti en 3ème Préparatoire à la Voie Professionnelle et a passé un BEP (Brevet d’Enseignement Professionnel). Je l’ai croisé au supermarché plus tard alors que j’avais déjà quitté Langevin et qu’est-ce qu’il était heureux de me raconter la Mention Complémentaire qu’il était en train de passer à Clermont Ferrand, car il avait été recruté dans l’équipe de rugby locale.
Et ce n’est pas fini…
A une de ces demi-journées de post-rentrée, j’avais invité l’IEN (Inspectrice de l’Education Nationale) de la circonscription, car il me paraissait indispensable de pouvoir travailler avec les écoles primaires du secteur, ce qui devait être nouveau car plusieurs collègues déclarèrent qu’elles n’avaient pas à rencontrer les instituteurs plus d’une fois par an, au moment de faire les classes. Cela était tellement aberrant que je fis répéter pour m’assurer que j’avais bien compris, tout en rappelant que la confection des classes était du ressort du chef d’établissement. Il allait y avoir du travail relationnel et pédagogique à faire ! En fait, l’espoir pointait vu les demandes de mutation et j’espérais vivement qu’elles puissent se réaliser ; en effet, un enseignant qui demande sa mutation pour tous les autres collèges de Mérignac, montrait un désir de fuite qui méritait d’être encouragé afin que l’affectation à Langevin n’apparaisse pas trop comme une contrainte, voire une punition. Il y avait aussi les trois départs en retraite programmés et j’avais bien l’intention de rendre hommage aux collègues qui quittaient le collège, dont une qui y avait passé vingt-neuf ans. J’interrogeais les collègues au cours de l’année, et les enseignantes me déclarèrent qu’elles ne souhaitaient pas de discours, vu que je ne les connaissais pas alors que le Directeur de la Segpa, lui, réclamait un discours et souhaitait y répondre. Ce fut donc le seul discours que j’aie jamais rédigé et lu.
Mais avant d’en arriver là, il fallait préparer les années à venir et je m’appliquai à motiver les enseignants pour qu’ils participent l’année suivante à un ou plusieurs stages d’équipes, seul moyen selon moi de se connaître et d’apprendre à travailler ensemble. Le succès était au rendez-vous puisque je pus demander notre inscription à trois stages d’équipes.
Entre-temps, je commençais à asseoir ma « notabilité » en participant, au titre de représentant de l’éducation nationale, à toutes les réunions auxquelles telle ou telle instance mérignacaise m’invitait.
Puis vint la fin de cette première année pour laquelle je n’avais bien entendu préparé qu’un discours…au cours duquel j’ai brièvement rajouté quelques mots concernant une collègue qui venait de m’annoncer qu’elle allait me répondre. Et à la fin de ce pot de fin d’année qui marquait le départ en retraite de trois collègues, certains ont très mal vécu le fait que personne n’avait préparé de discours pour la documentaliste…qui avait refusé le mien. Ces fins d’années ne furent jamais très simples.
Et ce n’est pas fini…