In La Tribune du 5 novembre 2022 (extraits)
Par André YCHE, Président du conseil de surveillance chez CDC Habitat.
Le mouvement de grève qui a perturbé, ces dernières semaines, le fonctionnement des raffineries pétrolières a mis en évidence les deux problèmes fondamentaux de l'économie française, à savoir l'accès aux ressources et la productivité, c'est-à-dire ce qu'il est convenu de nommer « pouvoir d'achat », qui n'en est, in fine, que le reflet...
Là où la CGT a bien raison de mettre en évidence la malignité d'un « Dieu jaloux », c'est que tous les « détours de production » imaginés par l'homme pour s'exonérer de la rareté des biens essentiels (l'eau, l'énergie, la nourriture) engendrent de nouvelles raretés, sur des biens longtemps inaccessibles : l'essence par exemple.
Donc, l'humanité ne saurait s'extraire de la rareté, car elle est le ressort indispensable du progrès qui s'efforce de la repousser pour, toujours, à peine vaincue, la retrouver l'instant d'après.
C'est que la rareté est multiforme : rareté absolue : l'or, les diamants ; mais d'où tiennent-ils leur valeur, sinon de la rareté ? Le pétrole, est-ce bien sûr ? Sicco Mansholt et le Club de Rome, dans les années 1970, nous prédisaient l'apocalypse des énergies fossiles avant la fin du XXe siècle... « Ma sœur, ne vois-tu rien venir ? ». Mais autant que la rareté, le mythe de la rareté est source de progrès.
Ainsi en est-il de la rareté de la monnaie, qui fait sa valeur, exprimée par le taux d'intérêt associé à l'emprunt ou au placement. Pour favoriser la croissance, une politique monétaire expansionniste fait baisser les taux d'intérêt, jusqu'au moment où l'abondance de monnaie, au lieu de servir à la croissance de l'économie réelle, engendre une poussée des prix. L'inflation est donc la sanction de la prodigalité et conduit à la « frugalité ».
Il en va de même pour les dépenses publiques : l'abondance de la monnaie, en réduisant le taux d'intérêt, suscite l'illusion passagère, le mirage pourrait-on dire, de la gratuité de l'endettement qui vient combler le déficit budgétaire de façon indolore.
Mais le contribuable n'est pas dupe et à partir d'un certain niveau de dette (90% du PIB selon Olivier BLANCHARD, ex « Chief economist » du FMI), il réduit ses dépenses et accumule des liquidités pour s'acquitter des impôts futurs. Donc, le laxisme d'un jour met fin à l'abondance du lendemain.
En bref, la rareté peut être organisée. Elle peut même résulter de la recherche de sobriété.
À certains égards, le pouvoir d'achat, en ce qu'il représente la contrepartie d'un travail, facteur de production essentiel, relève d'une problématique analogue. À paramètres constants (rémunération du capital et des dirigeants, prélèvements fiscaux et parafiscaux), la rémunération des salariés dépend essentiellement du coût des autres intrants (énergie, matières premières, composants, services à la production) et de l'efficience des processus de combinaison de ces intrants, en regard de la valeur du produit fini, s'agissant de son utilité (la demande solvable) et de sa rareté. En synthèse, le pouvoir d'achat est une fonction directe de la productivité, c'est-à-dire de la sobriété dans l'usage des facteurs de production.
Nous y voilà ! Tous les écologistes n'en sont pas persuadés, mais en réalité, ils militent en faveur d'un effort de productivité ! Et tous les militants de la CGT ne le savent peut-être pas, mais leurs manifestations n'ont pour effet réel que d'attirer l'attention des « masses » sur les deux problèmes fondamentaux du pays : l'accès aux ressources essentielles (l'énergie, les minerais, les données, les technologies, l'espace, les normes et le droit, en bref, tout ce qui constitue la souveraineté) et la productivité, c'est-à-dire la manière de les utiliser.
Ainsi en est-il, par exemple, de la décarbonation, idéal admirable dans un univers dont l'existence organique est fondée sur le carbone. Prenons l'exemple de la mobilité décarbonée et donc, à base d'électricité, quelle qu'en soit l'origine : un véhicule électrique nécessite beaucoup plus de métaux, et donc de minerais, qu'un véhicule thermique. L'accès à ces minerais implique l'exploitation de gisements (nouveaux, mais adverses par rapport à la doxa écologiste, ou anciens, à travers la réexploitation des extractions minières des siècles précédents, et tout aussi problématiques). Ainsi, en dehors de ses fondamentaux rationalistes, l'écologie, comme la Révolution, « dévore ses propres enfants » (Pierre Victorien VERGNIAUD, 1793).
Et donc, la CGT fait incontestablement œuvre utile en nous mettant en face de nos contradictions et des enjeux essentiels pour le pays : l'accès aux ressources et la productivité. Que les récents conflits sociaux ne sont-ils pas justifiés en ces termes, qui recueilleraient une large adhésion citoyenne !
Et ce n'est pas fini...