La chanson de Roland (extrait)
Durs sont les coups, cruel est le combat.
Bien grande perte il y a des chrétiens.
Celui qui vit Olivier et Roland
Frapper, tailler de leurs bonnes épées,
De bons guerriers pourra se souvenir !
Notre archevêque avec son épieu frappe.
Des païens morts on connaît bien le nombre,
Car c'est écrit dans les chartes et brefs.
La geste dit plus de quatre milliers.
A quatre chocs les Franks ont résisté ;
Mais le cinquième est cruel et funeste !
Tous sont occis, ces chevaliers français,
Soixante hormis, Dieu les a épargnés !
Ils se vendront bien cher avant qu'ils meurent.
Roland des siens a vu la grande perte.
Il interpelle Olivier son ami.
« Beau cher ami, par Dieu qui vous protège,
« Voyez gésir à terre tant de braves !
« Plaindre, pouvons douce France, la belle,
« De tels barons qu'elle reste déserte !
« Roi notre ami, que n'êtes-vous ici ?
« Frère Olivier comment pourrons-nous faire ?
« Comment à Charles envoyer des nouvelles ?
Olivier dit : « Je ne sais nul moyen.
« Mieux vaut mourir que d'encourir la honte. »
Roland lui dit : « Je sonnerai du cor :
« Charles entendra, qui passe aux défilés.
« Je garantis que les Franks reviendront ! »
Olivier dit : « Ce serait grande honte ;
« Pour vos parents ce serait un affront
« Qui durerait pendant toute leur vie.
« Quand j'en parlai, vous ne le fîtes pas.
« Ne m'est avis qu'à présent le fassiez :
« Vous ne pourrez corner avec vigueur,
« Vous avez déjà les bras ensanglantés. »
Roland répond : « J'ai frappé de beaux coups ! »
Il dit encore : « Notre bataille est dure !
« Je cornerai : le roi Charles entendra ! »
Olivier dit : « Ce ne serait pas brave !
« Quand je l'ai dit, vous l'avez dédaigné.
« Que Charles y fût, vous n'eussions rien souffert.
« Ceux qui sont loin ne sont pas à blâmer. »
Olivier dit encore : « Par cette barbe,
« Si je revois Aude, ma noble sœur,
« Vous ne serez jamais entre ses bras. »
Roland répond : « Pourquoi cette colère ?
Olivier dit : « Ami, c'est votre faute.
« Car le courage est sens et non folie.
« Mesure vaut mieux que témérité.
Et ce n'est pas fini...